Un circuit distinct hypothalamus-habénule régit la préférence pour le risque

Un circuit hypothalamo-habenulaire régule les préférences de risque

Contexte académique

Dans des environnements complexes et incertains, les animaux doivent évaluer les risques pour prendre des décisions favorables à leur survie. Face à une option sûre et une option risquée, les animaux ont tendance à montrer une forte préférence pour l’une des options, qui reste généralement cohérente sur une période prolongée. Cependant, la manière dont cette préférence au risque est encodée dans le cerveau reste un mystère non résolu. Le noyau habenulaire latéral (lateral habenula, LHB) est considéré comme une région clé dans les comportements guidés par la valeur, mais son rôle spécifique dans la prise de décision liée aux préférences de risque n’est pas encore bien compris. Cette étude vise à révéler les circuits neuronaux du cerveau qui régulent les préférences de risque, en particulier le rôle du circuit hypothalamo-habenulaire dans ce processus.

Origine de l’article

Cet article a été réalisé par une équipe de chercheurs dirigée par Dominik Groos, Anna Maria Reuss, Peter Rupprecht, de l’Université de Zurich (University of Zurich) et de l’ETH Zurich (Suisse). Publié en février 2025 dans la revue Nature Neuroscience, il s’intitule “A distinct hypothalamus–habenula circuit governs risk preference”. L’étude a bénéficié du soutien de plusieurs institutions, notamment l’Institut de recherche sur le cerveau de l’Université de Zurich et le Centre de neurosciences de Zurich.


Protocole expérimental et résultats

1. Conception expérimentale et modèle animal

L’équipe de recherche a tout d’abord conçu une tâche de choix à deux alternatives équilibrées (balanced two-alternative choice task) pour tester les préférences de risque chez la souris. Dans cette tâche, les souris devaient choisir entre deux becs distributeurs d’eau : l’un offrant une récompense stable de 5 microlitres d’eau sucrée (option sûre), et l’autre offrant une récompense de 17 microlitres avec une probabilité de 25 % ou de 1 microlitre avec une probabilité de 75 % (option risquée). Les valeurs attendues des deux options étaient identiques, mais les niveaux de risque différaient. Au total, 144 souris mâles et 22 femelles ont été utilisées, réparties en plusieurs groupes expérimentaux.

2. Expériences comportementales

Grâce à des tests comportementaux, l’équipe a découvert que les souris présentaient des différences individuelles significatives dans leurs préférences de risque. La majorité des souris préférait l’option sûre (type aversion au risque), tandis qu’une minorité préférait l’option risquée (type penchant pour le risque), et certaines alternaient fréquemment entre les deux options (type neutre au risque). Ces préférences restaient stables pendant plusieurs semaines, même lorsque la position des options était inversée. De plus, les souris averses au risque avaient tendance à revenir vers l’option sûre après avoir subi une perte, alors que les souris penchées pour le risque étaient plus enclines à réessayer l’option risquée.

3. Enregistrement de l’activité neuronale

Pour étudier le rôle du noyau habenulaire latéral (LHB) dans la prise de décision basée sur les préférences de risque, l’équipe a utilisé des techniques de photométrie à fibres optiques (fiber photometry) et d’imagerie calcique à deux photons (two-photon calcium imaging) afin d’enregistrer l’activité des neurones du LHB chez la souris. Les résultats ont montré que l’activité des neurones du LHB reflétait les préférences individuelles de risque avant la prise de décision. Plus précisément, l’activité des neurones du LHB augmentait de manière significative avant le choix de l’option préférée, qu’il s’agisse de l’option sûre ou risquée. Ce schéma d’activité était indépendant des résultats des décisions précédentes, ce qui indique que le LHB encode les informations relatives au choix imminent.

4. Analyse au niveau cellulaire unique

Au niveau des cellules individuelles, l’équipe a identifié une classe de « cellules sélectives des préférences de risque » (risk-preference-selective cells, RPSCs) dans le LHB. Ces cellules présentaient une activité spécifique avant le choix de l’option préférée. Parmi elles, 47,9 % des RPSCs voyaient leur activité augmenter lors du choix de l’option préférée, tandis que 37,2 % des RPSCs montraient une augmentation de l’activité lors du choix de l’option non préférée. Cette activité sélective était fortement corrélée aux préférences individuelles de risque des souris.

5. Étude fonctionnelle du circuit hypothalamo-habenulaire

À l’aide de traçages anatomiques complets (whole-brain anatomical tracing) et de photométrie multi-fibres (multi-fiber photometry), l’équipe a découvert que les projections glutamatergiques issues de l’hypothalamus médial (medial hypothalamus, MH) vers le LHB jouent un rôle clé dans la prise de décision basée sur les préférences de risque. En revanche, les projections issues de l’hypothalamus latéral (lateral hypothalamus, LH) ne présentaient pas de corrélation comportementale significative. Des expériences supplémentaires d’optogénétique ont montré que l’inhibition des projections MH→LHB diminuait de manière significative la confiance décisionnelle et les niveaux de préférence au risque chez les souris.

6. Étude des mécanismes synaptiques

Grâce à des expériences électrophysiologiques in vitro, l’équipe a découvert que les projections MH→LHB libéraient non seulement du glutamate, mais aussi du GABA (acide γ-aminobutyrique), tandis que les projections LH→LHB libéraient principalement du glutamate. Ce mécanisme de co-libération de neurotransmetteurs pourrait fournir une régulation fine de l’activité des neurones du LHB.


Conclusion de l’étude

Cette étude révèle le rôle crucial du circuit hypothalamo-habenulaire dans la prise de décision basée sur les préférences de risque. Plus précisément, l’hypothalamus médial régule l’activité des neurones du LHB via un mécanisme de co-libération de glutamate/GABA, influençant ainsi le comportement lié aux préférences de risque chez la souris. Cette découverte enrichit notre compréhension des mécanismes cérébraux sous-jacents à la prise de décision complexe et offre de nouvelles perspectives pour la recherche sur les troubles psychiatriques, tels que la dépression.


Points forts de l’étude

  1. Tâche comportementale innovante : La conception d’une tâche de choix à deux alternatives équilibrées permet de distinguer efficacement les types de préférences de risque chez les souris.
  2. Enregistrements neuronaux multidimensionnels : L’utilisation combinée de la photométrie à fibres optiques, de l’imagerie calcique à deux photons et de l’optogénétique a permis de révéler complètement le rôle du LHB dans la prise de décision basée sur les préférences de risque.
  3. Découverte de nouveaux mécanismes synaptiques : Il s’agit de la première fois que les projections MH→LHB sont identifiées comme ayant une fonction de co-libération de glutamate/GABA, offrant une nouvelle perspective sur la régulation fine des circuits neuronaux.
  4. Conservation évolutive interespèces : Les résultats montrent que le circuit hypothalamo-habenulaire est hautement conservé au cours de l’évolution et pourrait jouer un rôle similaire chez divers animaux.

Signification de l’étude

La valeur scientifique de cette étude réside dans la découverte des circuits neuronaux spécifiques qui régulent les préférences de risque dans le cerveau, apportant une base neurobiologique nouvelle à la compréhension des comportements décisionnels complexes. De plus, les résultats pourraient offrir des cibles potentielles pour le traitement des troubles psychiatriques, par exemple en modulant le circuit hypothalamo-habenulaire pour améliorer les déficits décisionnels chez les patients souffrant de dépression. En somme, cette recherche non seulement fait avancer le domaine des neurosciences, mais fournit également un soutien théorique important pour la médecine clinique.