Méthode de localisation de la zone de début de crise chez les patients atteints d'épilepsie réfractaire
Ces dernières années, l’épilepsie réfractaire (refractory epilepsy) suscite un intérêt croissant dans le milieu médical. Cette forme d’épilepsie est définie par la persistance de crises d’épilepsie graves malgré deux traitements appropriés par des médicaments antiépileptiques. Pour les patients ne répondant pas au traitement médicamenteux, si la zone d’origine des crises (seizure onset zone, SOZ) peut être localisée avec précision, une intervention chirurgicale visant à retirer ou détruire cette zone pourrait avoir un effet curatif. Cependant, aux États-Unis, le monitorage par stéréo-électroencéphalographie (stereoelectroencephalography, SEEG) des activités épileptiques dans différentes régions cérébrales est une méthode d’évaluation chirurgicale courante chez les patients souffrant d’épilepsie pharmacorésistante, mais cette méthode dépend de la détection d’un nombre suffisant de crises, nécessitant une hospitalisation de plusieurs jours voire semaines. De plus, même après un monitorage SEEG complet, la localisation précise de la SOZ n’est pas garantie. Par conséquent, la recherche sur l’amélioration de la précision de localisation de la SOZ revêt une importance cruciale.
Les principaux auteurs de cet article sont Alexander G. Yearley, Elliot H. Smith, Tyler S. Davis, Daria Anderson, Amir M. Arain et John D. Rolston, respectivement de la Harvard Medical School, du Brigham and Women’s Hospital, de l’Université de l’Utah et de l’Université de Sydney. L’article est publié dans le Journal of Neurosurgery, avec une date de publication en ligne le 24 mai 2024. Cette étude vise à développer une méthode computationnelle pour identifier et caractériser les décharges épileptiformes intercritiques (interictal epileptiform discharges, IEDs) à partir des enregistrements SEEG, et à utiliser la directionnalité de propagation des IEDs pour localiser la SOZ.
Méthodologie
Participants
Cette étude a enregistré les données SEEG de 15 patients souffrant d’épilepsie réfractaire à l’Université de l’Utah entre 2019 et 2021. Pour être inclus, les patients devaient avoir au moins 16 heures d’enregistrement SEEG et une imagerie de trajectoire correspondante. Les patients ont été suivis par monitorage neurologique pendant 2 à 8 jours pour localiser le foyer épileptique. L’implantation des électrodes était basée sur les hypothèses SEEG préopératoires, discutées lors de réunions multidisciplinaires. La SOZ hypothétique préopératoire se concentrait sur certaines régions spécifiques, où les électrodes ont été implantées en fonction des résultats préalables d’électroencéphalogramme, d’imagerie préopératoire, de sémiologie des crises et de tests neuropsychologiques. De plus, pour les patients avec une lésion, si celle-ci était considérée comme une source possible de crises, le cortex environnant était également échantillonné comme zone source potentielle.
Détection des IEDs et quantification de la propagation
Les IEDs ont été détectées dans les enregistrements SEEG continus des 15 patients, à l’aide d’un algorithme de détection de pics modifié. Chaque IED devait présenter un pic détecté dans une fenêtre de 6 ms sur au moins 5 canaux pour être marquée comme IED. Pour éviter la détection de bruits aléatoires, la détection des IEDs devait respecter les critères de définition de la Fédération Internationale de Neurophysiologie Clinique.
Afin de caractériser la nature des ondes de propagation des IEDs, l’étude a utilisé trois mesures : la distance euclidienne entre les électrodes, la longueur des trajets axonaux déterminée par imagerie de tractographie, et la probabilité de connexion entre les électrodes. La vitesse de propagation des IEDs a également été quantifiée pour évaluer leur conformité aux critères d’une onde de propagation.
Relation spatiale entre les IEDs et la SOZ
La SOZ a été définie par des neurologues cliniciens sur la base de l’activité épileptique observée dans les enregistrements SEEG continus. Pour évaluer l’étendue de la SOZ, une analyse de sensibilité a été menée en utilisant quatre définitions différentes de la SOZ : 0 mm, 10 mm, 20 mm et 30 mm. Le chemin de propagation des IEDs a été déterminé par la séquence temporelle des contacts d’électrodes SEEG détectant la même IED, chaque IED étant subdivisée en unités fonctionnelles appelées “triplets”, composées de trois contacts consécutifs détectant la même IED. En analysant la fréquence et la distribution des triplets, l’étude a examiné la proportion et le chemin des IEDs traversant la SOZ.
Résultats
L’étude a révélé une durée médiane d’enregistrement SEEG de 23,2 heures par patient, avec une médiane de 22,6 (4,4-183,9) IEDs détectées par heure (plage). En moyenne, 61,8 % des IEDs présentaient des caractéristiques d’onde de propagation, avec une vitesse médiane de 44,5 cm/s basée sur la distance euclidienne et de 126,1 cm/s basée sur la longueur des trajets axonaux. La proportion d’IEDs traversant la SOZ variait de manière significative selon la définition de la SOZ : avec la définition la plus étroite (0 mm), la médiane des patients était de 17,4 % des IEDs prenant leur origine dans la SOZ, tandis que 20,8 % traversaient globalement la SOZ. Avec la définition la plus large (30 mm), la proportion d’IEDs prenant leur origine dans la SOZ augmentait à 62,1 %.
Les triplets d’IEDs à fréquence élevée étaient plus susceptibles de traverser la SOZ, avec 100 % des triplets à haute fréquence présents dans au moins une IED traversant la SOZ. Une analyse de régression supplémentaire a montré que les patients ayant un plus grand nombre d’IEDs détectées par heure, une plus grande proportion d’ondes de propagation d’IEDs et une fréquence de triplets plus élevée étaient plus susceptibles de présenter des IEDs localisées dans la SOZ.
Conclusions et implications
Grâce à une approche computationnelle, les IEDs peuvent être efficacement détectées à partir des enregistrements SEEG cliniques de patients épileptiques et associées à une définition préliminaire de la SOZ. Bien que les IEDs présentent une hétérogénéité dans leur capacité à localiser la SOZ chez différents patients, les patients ayant une plus grande proportion d’ondes de propagation d’IEDs étaient significativement plus susceptibles de présenter des IEDs localisées dans la SOZ. L’analyse des triplets d’IEDs a permis de distinguer les chemins stables traversant la SOZ de ceux qui ne la traversaient pas, ces résultats offrant un potentiel de biomarqueur pour la cartographie de la SOZ.
Cette étude ouvre la voie à l’introduction de l’analyse des IEDs dans le flux de travail clinique, ce qui pourrait avoir un impact positif sur cette population de patients à haut risque en réduisant le temps de monitorage de la zone épileptogène et le nombre d’électrodes implantées. Une validation sur une plus grande cohorte est nécessaire, ainsi qu’une investigation de la relation entre les caractéristiques des IEDs et les résultats cliniques. Cette étude soutient la valeur potentielle de la détection des IEDs et de leurs ondes de propagation pour la localisation de la SOZ chez les patients épileptiques.