L'analyse protéomique révèle des signatures distinctes du liquide céphalo-rachidien dans les sous-types génétiques de la démence frontotemporale
Contexte académique
La démence frontotemporale (Frontotemporal Dementia, FTD) est un groupe de maladies neurodégénératives progressives, se manifestant principalement par des changements comportementaux, des troubles du langage ou des dysfonctionnements moteurs. Bien que l’incidence de la FTD soit inférieure à celle de la maladie d’Alzheimer (Alzheimer’s Disease, AD), elle reste l’une des principales causes de démence précoce. La base moléculaire de la FTD est complexe, et la plupart des cas sont attribués à une pathologie de dégénérescence lobaire frontotemporale (Frontotemporal Lobar Degeneration, FTLD), caractérisée par des inclusions cellulaires de protéines Tau, TDP-43 ou FET. Contrairement à l’AD, environ un tiers des cas de FTD sont génétiques, les mutations les plus courantes se situant dans les gènes GRN, C9orf72 et MAPT. Ces mutations génétiques entraînent respectivement une protéinopathie TDP-43 et une tauopathie.
Actuellement, le diagnostic et le traitement de la FTD sont confrontés à des défis, notamment en raison du manque de biomarqueurs spécifiques. Ainsi, la recherche de marqueurs protéiques dans le liquide céphalo-rachidien (Cerebrospinal Fluid, CSF) associés à la FTD est devenue un axe de recherche majeur. L’analyse protéomique permet de révéler les mécanismes pathologiques des différents types génétiques de FTD et de fournir de nouveaux biomarqueurs pour le diagnostic et le pronostic.
Source de l’article
Cette recherche a été menée par Aitana Sogorb-Esteve, Sophia Weiner, Joel Simrén et d’autres chercheurs, impliquant plusieurs institutions de recherche, notamment l’University College London (Royaume-Uni), l’Université de Göteborg (Suède) et le centre médical Erasmus de Rotterdam (Pays-Bas). L’article a été publié le 5 février 2025 dans la revue Science Translational Medicine, sous le titre Proteomic analysis reveals distinct cerebrospinal fluid signatures across genetic frontotemporal dementia subtypes.
Processus de recherche
1. Sujets et collecte d’échantillons
L’étude a utilisé 238 échantillons de CSF provenant de la cohorte Genetic FTD Initiative (GENFI), incluant 107 porteurs asymptomatiques de mutations (44 C9orf72, 38 GRN, 25 MAPT), 55 porteurs symptomatiques (27 C9orf72, 17 GRN, 11 MAPT) ainsi que 76 témoins non porteurs. Tous les échantillons ont été collectés par ponction lombaire et centrifugés dans les 2 heures suivant leur prélèvement pour éliminer les matières insolubles et les cellules. Le surnageant a été aliqueté et stocké à -80°C.
2. Traitement des échantillons et analyse protéomique
Le traitement des échantillons comprenait les étapes suivantes :
- Réduction et alkylation : Utilisation de tris(2-carboxyéthyl)phosphine (TCEP) et de dithiothréitol (DTT) pour réduire les protéines, suivie d’une alkylation avec de l’iodoacétamide.
- Digestion enzymatique : Utilisation de trypsine pour digérer les protéines et générer des peptides.
- Marquage TMT : Utilisation de marqueurs de spectrométrie de masse en tandem 18-plex (TMTpro) pour marquer les peptides, puis regroupement des échantillons en plusieurs lots de 18 marqueurs.
- Séparation par chromatographie liquide : Séparation des peptides par chromatographie liquide à haute performance en phase inverse à pH élevé (HPLC) pour réduire la complexité de l’échantillon.
- Analyse par spectrométrie de masse : Utilisation d’un spectromètre de masse à haute résolution (Orbitrap Fusion Lumos) pour analyser les peptides et mesurer leur abondance relative.
3. Analyse des données
Les méthodes d’analyse des données incluaient :
- Analyse des différences d’abondance protéique : Utilisation de modèles de régression linéaire pour comparer les différences d’abondance protéique entre les groupes, en ajustant l’âge et le sexe comme covariables, et en corrigeant les tests multiples par la méthode de Benjamini-Hochberg.
- Analyse de co-expression génique : Utilisation de l’analyse de réseau de co-expression génique pondérée (WGCNA) pour identifier les modules protéiques liés à la pathologie, et annotation fonctionnelle via l’ontologie génique (GO).
- Analyse de corrélation avec les paramètres cliniques : Corrélation des valeurs propres des modules protéiques avec des paramètres cliniques (tels que la NFL plasmatique, le score FTLD-CDR-SOB, le volume cérébral, etc.) pour évaluer leur valeur pronostique.
Résultats principaux
1. Différences protéomiques entre les types génétiques de FTD
L’étude a révélé des différences significatives dans le protéome du CSF des patients atteints de différents types génétiques de FTD. Chez les porteurs symptomatiques de mutations, les porteurs de MAPT, GRN et C9orf72 présentaient respectivement 58, 138 et 385 protéines dont l’abondance était significativement modifiée. Ces protéines étaient principalement impliquées dans les dommages neuronaux, les réponses gliales et la fonction synaptique.
2. Comparaison avec la maladie d’Alzheimer
L’étude a également comparé les données protéomiques de la FTD avec celles de l’AD. Elle a révélé que des protéines telles que YWHAG, NPTXR et FABP3 étaient significativement modifiées dans les deux maladies, indiquant que ces pathologies partagent des caractéristiques pathologiques communes en aval, notamment dans les processus neurodégénératifs et neuroinflammatoires.
3. Changements protéomiques chez les porteurs asymptomatiques
L’étude a montré que l’abondance de certaines protéines était déjà modifiée chez les porteurs asymptomatiques de mutations. Par exemple, CALB2, HK1 et PGK1 étaient significativement augmentés chez les porteurs asymptomatiques de C9orf72, suggérant que ces protéines pourraient être liées à des perturbations métaboliques associées à C9orf72.
4. Analyse des réseaux protéiques
Grâce à la WGCNA, l’étude a identifié plusieurs modules protéiques liés à la pathologie de la FTD, notamment les modules “marqueurs centraux”, “synapse” et “lysosome”. Le module des “marqueurs centraux” était fortement corrélé avec la sévérité de la maladie et le déclin cognitif, tandis que la diminution de l’abondance du module “synapse” était associée à une détérioration des fonctions cognitives.
Conclusion
Cette étude a révélé les caractéristiques protéomiques du CSF chez les patients atteints de FTD génétique, fournissant une compréhension approfondie des mécanismes pathologiques de la maladie. Les résultats montrent que les modifications protéomiques dans les différents types génétiques de FTD présentent à la fois des similitudes et des différences, et ces changements apparaissent déjà au stade asymptomatique. L’étude a également identifié des protéines spécifiques associées aux mutations C9orf72, GRN et MAPT, offrant des biomarqueurs potentiels pour le diagnostic et le pronostic de la FTD. De plus, l’étude a révélé des similitudes dans les changements protéomiques entre la FTD et l’AD, suggérant que ces deux maladies partagent certains mécanismes pathologiques.
Points forts de l’étude
- Analyse protéomique complète : L’étude a utilisé une approche de spectrométrie de masse non ciblée pour analyser systématiquement le protéome du CSF des patients atteints de FTD génétique, révélant les caractéristiques protéomiques des différents types génétiques de FTD.
- Découverte de marqueurs pathologiques précoces : L’étude a montré que l’abondance de certaines protéines était déjà modifiée chez les porteurs asymptomatiques de mutations, fournissant des marqueurs potentiels pour le diagnostic précoce de la FTD.
- Étude comparative avec l’AD : L’étude a comparé les données protéomiques de la FTD avec celles de l’AD, révélant des changements protéomiques communs dans les processus neurodégénératifs et neuroinflammatoires.
- Application de l’analyse des réseaux protéiques : Grâce à la WGCNA, l’étude a identifié des modules protéiques liés à la pathologie de la FTD et évalué leur corrélation avec les paramètres cliniques, offrant de nouvelles perspectives pour le diagnostic et le pronostic de la FTD.
Synthèse
Cette étude, grâce à une analyse protéomique approfondie, a révélé les caractéristiques protéomiques du CSF dans la FTD génétique, identifié des protéines spécifiques associées aux différents types génétiques de FTD et proposé des biomarqueurs potentiels pour le diagnostic et le pronostic. Les résultats fournissent non seulement de nouvelles perspectives pour comprendre les mécanismes pathologiques de la FTD, mais aussi des bases scientifiques importantes pour son diagnostic précoce et son traitement.