Modifications de la connectivité fonctionnelle dans les troubles cognitifs légers : une méta-analyse des études M/EEG
Changements de connectivité fonctionnelle dans les troubles cognitifs légers : une méta-analyse des études M/EEG
Contexte et objectif
La maladie d’Alzheimer (Alzheimer’s disease, AD) est une maladie neurodégénérative caractérisée par une perte de mémoire et des troubles cognitifs. L’AD est la principale cause de troubles cognitifs chez les personnes âgées, représentant environ 60 à 80 % des cas mondiaux. Avec l’âge, la prévalence de la maladie d’Alzheimer augmente significativement : elle est de 3 % chez les personnes de 65 à 74 ans, de 17 % chez les personnes de 75 à 84 ans et atteint 32 % chez les personnes de 85 ans et plus. Par conséquent, la maladie d’Alzheimer est devenue un problème de santé publique majeur à l’échelle mondiale, ayant un impact considérable sur le système de santé et les coûts pour la société.
Les changements neuropathologiques de l’AD incluent l’accumulation extracellulaire de protéines β-amyloïdes (Aβ) et les enchevêtrements neurofibrillaires causés par la hyperphosphorylation de la protéine tau (p-tau), menant à la mort neuronale, et finalement à l’atrophie cérébrale et à la dysfonction synaptique. Les premières lésions commencent dans le cortex entorhinal et l’hippocampe, avant de s’étendre progressivement aux régions néocorticales au fur et à mesure que la maladie progresse. Cependant, de plus en plus de preuves suggèrent que la neuropathologie de l’AD n’est pas globale et pourrait cibler initialement des régions spécifiques de connectivité fonctionnelle, considérées comme des nœuds clés d’un réseau cérébral plus vaste.
Dans le processus de neurodégénérescence de l’AD, il y a une période silencieuse qui peut durer plusieurs années voire des décennies, durant laquelle les processus neurophysiopathologiques ont déjà commencé mais sans signe clinique évident. Ensuite, la neurodégénérescence peut conduire à une phase préclinique appelée trouble cognitif léger (mild cognitive impairment, MCI), qui conduit progressivement et irréversiblement à la perte d’autonomie, aboutissant finalement à la démence. Le MCI est défini comme une phase intermédiaire entre le vieillissement normal et le développement de l’AD, caractérisée par des troubles cognitifs objectifs soit de la mémoire (MCI amnésique, aMCI) ou d’autres domaines cognitifs (MCI non amnésique, nMCI), tout en maintenant des fonctions cognitives de base et des activités de la vie quotidienne.
Les techniques de mesure de la neurophysiologie, telles que l’électroencéphalographie (EEG) et la magnétoencéphalographie (MEG), constituent des méthodes non invasives pour enregistrer les signaux électromagnétiques générés par l’activité neuronale. Ces techniques sont plus rentables et pratiques que l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (fMRI), et elles offrent une résolution temporelle élevée. Des études ont montré qu’il est possible d’observer des changements précoces de synchronisation à l’étape du MCI à l’aide de ces techniques. Cependant, les directions de ces changements (hyper-synchronisation / hypo-synchronisation), les régions et les bandes de fréquences impliquées restent inconsistantes. Cette étude vise à clarifier les preuves existantes liées aux biomarqueurs neurophysiologiques potentiels de l’AD à travers une méta-analyse.
Sources de l’étude
Cet article a été rédigé conjointement par Giulia Buzi, Chiara Fornari, Alessio Perinelli et Veronica Mazza, affiliés aux institutions de recherche suivantes : - Inserm-EPHE-Unicaen, Caen, France. - Centre des sciences du cerveau / Centre des sciences de l’esprit (CIMeC), Université de Trente, Rovereto, Italie. - Département de physique, Université de Trente, Trente, Italie. - INFN-TIFPA, Trente, Italie.
Cette étude a été publiée dans « Clinical Neurophysiology », volume 156, pages 183-195, en 2023. Il s’agit d’un article en accès ouvert publié par Elsevier B.V. sous licence CC BY.
Méthodologie de l’étude
Recherche et sélection de la littérature
La recherche de littérature a été menée du 10 décembre 2022 au 1er juin 2023, dans les bases de données PubMed, Scopus, Web of Science et PsycInfo. Les mots-clés de recherche comprenaient “EEG” ou “MEG” ainsi que “connectivity”, “synchronization”, “Alzheimer”, etc. Après le processus de sélection, 12 articles sur les 3852 identifiés répondaient aux critères d’inclusion. Les articles inclus dans l’analyse devaient rapporter la taille de l’effet et mentionner les changements de connectivité fonctionnelle dans les régions cérébrales des patients atteints de MCI.
Méthode de méta-analyse
Un modèle de méta-analyse à effets aléatoires a été utilisé, excluant de manière objective les tailles d’effet non rapportées de manière significative (NSUES). La comparaison principale portait sur les changements de connectivité fonctionnelle au repos entre les personnes atteintes de MCI et les témoins sains (HC). Pour éviter le biais de taille d’échantillon, seuls les comparaisons HC vs MCI ont été considérées. La différence moyenne standardisée (SMD) a été utilisée pour analyser les changements de connectivité entre différentes bandes de fréquences dans diverses régions cérébrales, y compris : - Fronto-temporal (FT) - Fronto-pariétal (FP) - Fronto-occipital (FO) - Temporo-pariétal (TP)
Extraction et analyse de données
Les données extraites des études incluaient des informations bibliographiques de base, les paramètres expérimentaux (comme le nombre et la position des électrodes), les données démographiques des échantillons, les mesures de connectivité, le type de tâche ou l’état au repos, et la taille de l’effet des changements de connectivité. Durant l’analyse statistique, les changements de connectivité entre différentes régions cérébrales ont été comparés et présentés sous forme de graphiques en forêt montrant les estimations des effets et les intervalles de confiance. Une analyse des éléments manquants (leave-one-out) ainsi qu’un test de biais de publication ont également été effectués.
Principaux résultats
Bande Alpha
Lors de la comparaison entre MCI et HC, une diminution significative de la synchronisation Alpha a été observée dans les régions temporo-pariétales (d=-0.26) et fronto-pariétales (d=-0.25), indiquant que les patients atteints de MCI ont une connectivité fonctionnelle affaiblie entre ces régions cérébrales. L’analyse des éléments manquants a démontré une reproductibilité élevée des résultats dans la majorité des cas.
Bande Thêta
La diminution significative de la synchronisation Thêta dans les régions fronto-pariétales n’a pas été confirmée par la majorité des études, sauf dans certains cas particuliers où la suppression de certaines études montrait un effet modéré.
Bande Delta
Aucune modification significative de la synchronisation n’a été trouvée dans les comparaisons de la bande Delta entre les régions cérébrales.
Bande Bêta
Aucun changement significatif de la synchronisation n’a été observé dans la bande Bêta.
Conclusion et signification
Cette méta-analyse étend les recherches antérieures et souligne une diminution significative de la synchronisation Alpha dans les régions temporo-pariétales et fronto-pariétales chez les patients atteints de MCI. Ces découvertes soutiennent l’hypothèse du « syndrome de déconnexion », selon laquelle les troubles cognitifs pourraient être liés à une intégration fonctionnelle réduite des régions cérébrales. Les changements de connectivité fonctionnelle devenant apparents dès l’étape MCI sont essentiels pour le diagnostic précoce et le traitement de l’AD.
La faisabilité élevée des techniques électrophysiologiques leur permet de détecter précocement les changements pathologiques dans le cerveau, fournissant ainsi de nouvelles stratégies pour gérer la progression de la maladie. Des recherches supplémentaires aideront à développer des thérapies modulatrices de la maladie et à mettre en œuvre des interventions précoces aux premiers stades de la neurodégénérescence.
Points forts
- Une diminution significative de la connectivité fonctionnelle dans la bande Alpha a été observée dans les régions temporo-pariétales et fronto-pariétales chez les patients atteints de MCI.
- La nouvelle méthode utilisée dans la méta-analyse a amélioré la fiabilité des résultats et évité les biais de publication.
- Les mesures électrophysiologiques fournissent un outil efficace pour le diagnostic précoce de l’AD, avec des applications cliniques importantes.
Une compréhension approfondie des changements de connectivité fonctionnelle au stade MCI peut fournir des outils de détection et des approches thérapeutiques plus efficaces, facilitant les interventions précoces et optimisant les stratégies de gestion de la maladie. Cette recherche contribue significativement à l’exploration des biomarqueurs fonctionnels de la maladie d’Alzheimer à ses débuts, avec des implications scientifiques et appliquées importantes.