Empreinte spatiotemporelle de la diversité des cellules T CD8 mémoire résidentes dans les tissus

Diversité spatiotemporelle des cellules T mémoire résidentes CD8

Contexte

Les cellules T mémoire résidentes CD8 (Tissue-resident memory CD8 T cells, cellules TRM) fournissent une protection immunitaire à long terme au niveau des sites barrières, tels que l’intestin. Cependant, l’hétérogénéité des cellules TRM et les mécanismes de leur formation ne sont pas entièrement compris. Des études antérieures ont montré que les cellules TRM dans l’intestin grêle se divisent en au moins deux sous-populations : l’une exprimant des niveaux élevés de molécules effectrices, et l’autre présentant un potentiel de mémoire plus fort. L’origine de cette hétérogénéité reste incertaine. Cette étude vise à explorer comment les microenvironnements tissulaires influencent l’hétérogénéité phénotypique des cellules TRM et à révéler leur distribution spatiotemporelle dans l’intestin.

Source de l’article

Cet article a été réalisé par une équipe de recherche dirigée par Miguel Reina-Campos et Alexander Monell de l’University of California, San Diego et du La Jolla Institute for Immunology, entre autres institutions. Publié en 2024 dans la revue Nature, l’étude combine la transcriptomique spatiale, des modèles murins et une nouvelle technologie de perturbation génique optiquement codée pour révéler les mécanismes de régulation de la distribution spatiotemporelle et de l’état fonctionnel des cellules TRM dans l’intestin grêle.


Méthodologie et résultats

1. Application de la transcriptomique spatiale

L’équipe a d’abord utilisé la transcriptomique spatiale (Spatial Transcriptomics) pour analyser à haute résolution l’intestin grêle de souris. En concevant un panel de détection de 350 gènes, les chercheurs ont capturé les profils d’expression génique des cellules TRM dans différentes régions anatomiques de l’intestin grêle, telles que le sommet et la base des villosités. Les sujets expérimentaux étaient des souris infectées par le virus de la chorioméningite lymphocytaire (LCMV), et des échantillons intestinaux ont été prélevés à différents temps après l’infection (6, 8, 30 et 90 jours).

Résultats expérimentaux :

  • Distribution spatiotemporelle des cellules TRM : L’étude a révélé que la distribution des cellules TRM dans l’intestin grêle présente une régionalisation marquée. Aux stades précoces de l’infection (6 et 8 jours), les cellules TRM se concentrent principalement à la base des villosités et dans la couche musculaire. Aux stades tardifs (30 et 90 jours), les cellules TRM se différencient en deux populations spatialement distinctes : l’une située au sommet des villosités, exprimant des niveaux élevés de molécules effectrices (comme GZMA et GZMB), et l’autre à la base des villosités, exprimant des gènes associés au potentiel de mémoire (comme TCF7 et SLAMF6).
  • Empreinte spatiotemporelle de l’expression génique : L’analyse de l’expression génique des cellules TRM a montré que 46 % des gènes varient le long de l’axe crypte-villositaire (crypt-villus axis), et 40 % varient le long de l’axe de distance épithéliale (epithelial axis). Cela indique que l’état fonctionnel des cellules TRM est étroitement lié à leur position dans l’intestin grêle.

2. Interactions cellulaires et gradients de signaux

Pour explorer davantage les mécanismes de l’hétérogénéité des cellules TRM, l’équipe a analysé les interactions entre les cellules TRM et leur environnement, ainsi que la distribution des gradients de cytokines.

Résultats expérimentaux :

  • Interactions cellulaires : Les cellules TRM situées au sommet des villosités interagissent principalement avec les cellules épithéliales et les cellules immunitaires (comme les cellules T invariantes associées aux muqueuses et les cellules tueuses naturelles), tandis que celles situées à la base des villosités interagissent davantage avec les cellules B, les cellules T CD4 et les fibroblastes.
  • Gradients de cytokines : L’étude a révélé des gradients de plusieurs cytokines (comme TGFβ, IL-7 et IL-15) dans l’intestin grêle. Par exemple, la signalisation TGFβ est plus active au sommet des villosités, tandis que les signaux CXCL9 et CXCL10 sont principalement exprimés par les fibroblastes situés à la base de la couche musculaire après l’infection.

3. Rôle des signaux TGFβ et CXCR3

L’équipe a validé le rôle clé des signaux TGFβ et CXCR3 dans le positionnement et la différenciation des cellules TRM grâce à des expériences de knock-out génétique.

Résultats expérimentaux :

  • Rôle de la signalisation TGFβ : Le knock-out du récepteur TGFβ de type II (TGFβRII) a entraîné une accumulation accrue des cellules TRM à la base des villosités et une réduction significative des marqueurs clés des cellules TRM (comme CD103). Cela montre que la signalisation TGFβ est essentielle pour le positionnement et le maintien fonctionnel des cellules TRM au sommet des villosités.
  • Rôle de la signalisation CXCR3 : En utilisant la technologie CRISPR-Cas9 pour supprimer le gène CXCR3, l’étude a montré que les cellules TRM dépourvues de CXCR3 s’accumulent davantage au sommet des villosités et expriment des niveaux plus élevés de molécules effectrices (comme GZMA). Cela indique que la signalisation CXCR3 joue un rôle important dans la régulation du positionnement et de l’état fonctionnel des cellules TRM.

4. Étude des cellules TRM dans l’intestin grêle humain

Pour valider la généralisabilité des résultats obtenus chez la souris, l’équipe a également analysé des échantillons d’intestin grêle humain par transcriptomique spatiale.

Résultats expérimentaux :

  • Hétérogénéité des cellules TRM humaines : L’étude a montré que les cellules T CD8 dans l’intestin grêle humain présentent une hétérogénéité similaire à celle observée chez la souris. Les cellules T CD8 situées au sommet des villosités expriment des niveaux élevés de molécules effectrices (comme GZMA et ITGAE), tandis que celles situées à la base expriment des gènes associés au potentiel de mémoire (comme TCF7).
  • Signalisation intercellulaire : Comme chez la souris, les cellules TRM humaines sont également régulées par des cytokines locales et des interactions cellulaires.

Conclusions et implications

1. Valeur scientifique

Cette étude révèle pour la première fois de manière systématique la distribution spatiotemporelle des cellules TRM dans l’intestin grêle et les mécanismes de régulation de leur état fonctionnel. Les résultats montrent que l’architecture intestinale, à travers des signaux régionaux (tels que les gradients de cytokines et les interactions cellulaires), façonne l’hétérogénéité des cellules TRM. Cette découverte offre une nouvelle perspective pour comprendre le développement et la fonction des cellules immunitaires résidentes dans les tissus.

2. Valeur applicative

L’étude met en lumière le rôle clé des signaux TGFβ et CXCR3 dans le positionnement et la différenciation des cellules TRM, fournissant des cibles potentielles pour le développement de stratégies thérapeutiques ciblant les cellules immunitaires résidentes. Par exemple, la modulation des signaux TGFβ ou CXCR3 pourrait améliorer la fonction des cellules TRM dans des tissus spécifiques, augmentant ainsi l’efficacité des vaccins ou des réponses immunitaires antitumorales.

3. Points forts de l’étude

  • Technologie de transcriptomique spatiale à haute résolution : L’équipe a développé un nouveau cadre computationnel permettant de capturer la distribution spatiotemporelle des types cellulaires et de l’expression génique le long des trois axes anatomiques de l’intestin grêle.
  • Technologie de perturbation génique optiquement codée : L’étude a réalisé pour la première fois des expériences de knock-out CRISPR multiplexées et optiquement codées in vivo, offrant un nouvel outil pour étudier la différenciation des cellules immunitaires.
  • Validation inter-espèces : Les résultats obtenus chez la souris ont été validés dans des échantillons humains, confirmant leur généralisabilité.

Résumé

En combinant la transcriptomique spatiale, la technologie de perturbation génique et une validation inter-espèces, cette étude révèle de manière systématique la distribution spatiotemporelle des cellules TRM dans l’intestin grêle et les mécanismes de régulation de leur état fonctionnel. Les résultats approfondissent notre compréhension des cellules immunitaires résidentes dans les tissus et fournissent une base théorique et technologique importante pour le développement de nouvelles stratégies immunothérapeutiques.