L'abrogation sélective de S6K2 identifie l'homéostasie lipidique comme une vulnérabilité de survie dans le mélanome muté NRAS résistant aux inhibiteurs de MAPK

Contexte académique

Le mélanome avec mutation NRAS (NRASmut) est un type de tumeur hautement agressif, représentant près de 30 % de tous les cas de mélanome. NRAS est un oncogène qui active de manière persistante la voie de signalisation de la kinase activée par les mitogènes (MAPK), jouant un rôle clé dans la genèse et la progression du mélanome. Cependant, malgré les études approfondies sur les inhibiteurs de la voie MAPK (MAPKi), leur efficacité thérapeutique dans le mélanome muté NRAS reste très limitée, avec des taux de réponse inférieurs à 20 % en monothérapie et sans amélioration significative de la survie des patients. De plus, l’inhibition de la voie MAPK entraîne souvent une activation en retour de la voie PI3K/AKT. Bien que l’inhibition simultanée des voies MAPK et PI3K puisse améliorer l’efficacité, cette stratégie provoque des effets toxiques significatifs chez les patients, et aucune dose cliniquement efficace n’a encore été trouvée. Ainsi, la recherche de cibles thérapeutiques spécifiques pour le mélanome NRASmut résistant aux MAPKi (MAPKi-R) est devenue une priorité.

Source de l’article

Cette étude, rédigée par Brittany Lipchick et son équipe, regroupe des chercheurs de plusieurs institutions renommées, dont le Wistar Institute, l’University of Texas MD Anderson Cancer Center et le Knight Cancer Institute. L’article a été publié le 5 février 2025 dans la revue Science Translational Medicine, sous le titre “Selective Abrogation of S6K2 Identifies Lipid Homeostasis as a Survival Vulnerability in MAPK Inhibitor–Resistant NRAS-Mutant Melanoma”.

Méthodologie et résultats

1. Rôle clé de S6K2 dans le mélanome résistant aux MAPKi

L’étude commence par analyser la réponse hétérogène des cellules de mélanome NRASmut aux MAPKi. En comparant les cellules sensibles (MAPKi-S) et résistantes (MAPKi-R) aux MAPKi, les chercheurs ont découvert que, bien que les MAPKi inhibent efficacement la voie MAPK, l’expression de S6K2 (kinase 2 de la protéine ribosomique S6 40S) est significativement augmentée dans les cellules résistantes, tandis que l’expression de S6K1 reste hétérogène. L’analyse par séquençage d’ARN (RNA-seq) et par western blot a confirmé que S6K2 est plus fortement exprimé dans les cellules MAPKi-R, et son expression est associée à un mauvais pronostic chez les patients.

2. La suppression de S6K2 induit une perturbation du métabolisme lipidique et la mort cellulaire

Pour explorer le rôle de S6K2 dans les cellules MAPKi-R, les chercheurs ont utilisé l’interférence par ARN (ARNi) pour réduire spécifiquement l’expression de S6K2. Les résultats ont montré que la suppression de S6K2 induit de manière significative la mort des cellules MAPKi-R, contrairement à la suppression de S6K1. Des recherches supplémentaires ont révélé que la suppression de S6K2 perturbe le métabolisme lipidique des cellules, en particulier en augmentant l’accumulation d’acides gras polyinsaturés (PUFA), ce qui déclenche la peroxydation lipidique et le stress oxydatif. L’analyse lipidomique a montré que la suppression de S6K2 augmente significativement la teneur en PUFA dans les classes de lipides telles que la phosphatidylcholine, la phosphatidyléthanolamine et la phosphatidylglycérol.

3. La suppression de S6K2 active le stress du réticulum endoplasmique et la voie PPARα

L’analyse transcriptomique a révélé que la suppression de S6K2 active de manière significative la réponse au stress du réticulum endoplasmique (UPR), en particulier la voie IRE1α-XBP1, tout en augmentant l’expression du récepteur activé par les proliférateurs de peroxysomes α (PPARα) et de ses gènes cibles. Il est à noter que le traitement avec l’inhibiteur d’IRE1α KIRA6 ou l’inhibiteur de caspase à large spectre ZVAD peut partiellement inverser la mort cellulaire induite par la suppression de S6K2, indiquant que celle-ci déclenche l’apoptose via l’activation de l’UPR et de la voie PPARα.

4. La combinaison d’un agoniste PPARα et de PUFA reproduit l’effet de la suppression de S6K2

Sur la base de la perturbation du métabolisme lipidique et du stress oxydatif induits par la suppression de S6K2, les chercheurs ont examiné l’effet thérapeutique de la combinaison d’un agoniste PPARα (comme le fénofibrate, FNB) et de PUFA (comme l’acide docosahexaénoïque, DHA). Les résultats ont montré que la combinaison de FNB et de DHA induit de manière significative la peroxydation lipidique et la mort cellulaire dans les cellules MAPKi-R, mais pas dans les cellules MAPKi-S. De plus, les expériences in vivo ont montré que la combinaison de FNB et de DHA inhibe de manière significative la croissance tumorale dans les modèles murins de mélanome muté NRAS, sans toxicité apparente.

Conclusion

Cette étude révèle le rôle clé de S6K2 dans le mélanome NRASmut résistant aux MAPKi et propose une nouvelle stratégie thérapeutique basée sur la perturbation du métabolisme lipidique et du stress oxydatif en ciblant S6K2 ou son réseau d’effecteurs (comme la voie PPARα). Cette recherche fournit non seulement une nouvelle cible pour le traitement du mélanome NRASmut, mais jette également les bases théoriques pour le développement de thérapies anticancéreuses basées sur la modulation du métabolisme lipidique.

Points forts de la recherche

  1. Découverte clé : S6K2 est un facteur de dépendance pour la survie du mélanome NRASmut résistant aux MAPKi, et sa suppression déclenche la mort cellulaire via l’activation de la voie PPARα et la peroxydation lipidique.
  2. Innovation méthodologique : La combinaison d’un agoniste PPARα et de PUFA reproduit l’effet de la suppression de S6K2, ouvrant de nouvelles perspectives pour le développement de médicaments anticancéreux à faible toxicité.
  3. Valeur clinique : Cette recherche offre une nouvelle stratégie thérapeutique pour le mélanome NRASmut, en particulier pour les patients résistants aux traitements actuels.

Autres informations importantes

Cette étude est également la première à mettre en lumière les différences fonctionnelles entre S6K1 et S6K2 dans le mélanome, offrant une nouvelle perspective sur la compréhension des fonctions biologiques de la famille S6K. En outre, elle suggère que la modulation du métabolisme lipidique pour induire la mort des cellules tumorales pourrait devenir une direction importante dans le traitement futur du cancer.