L'insuffisance cardiaque favorise la multimorbidité par le biais de la mémoire immunitaire innée
L’insuffisance cardiaque favorise les comorbidités par la mémoire immunitaire innée
Contexte de l’étude
Malgré les avancées médicales majeures, le taux de mortalité lié à l’insuffisance cardiaque (IC) reste élevé et de nouvelles cibles thérapeutiques sont nécessaires. Les patients atteints d’IC subissent souvent une décompensation aiguë et développent des comorbidités comme la maladie rénale chronique et le syndrome de fragilité. Cela suggère une interaction pathologique entre ces comorbidités, mais les mécanismes spécifiques restent inconnus. L’inflammation chronique est désormais perçue comme caractéristique pathologique commune de nombreuses maladies associées à la comorbidité. La mémoire immunitaire innée est impliquée non seulement dans la défense contre les infections mais aussi dans le développement des maladies non transmissibles. Nous avons récemment découvert que les macrophages tissulaires jouent un rôle crucial dans le maintien de la santé cardiaque, mais sous contrainte cardiaque, ces macrophages montrent une diversité fonctionnelle et phénotypique. Cependant, il reste à étudier si l’IC induit une inflammation chronique dans plusieurs organes via le système immunitaire et ses mécanismes sous-jacents.
Source de l’article
Cet article de recherche a été rédigé par Yukiteru Nakayama, Katsuhito Fujiu et al., avec les principaux auteurs appartenant à différentes unités de recherche du département de médecine cardiovasculaire et de cardiologie avancée de l’Université de Tokyo. L’article a été publié le 24 mai 2024 dans « Science Immunology » (sci. immunol. 9, ade3814 (2024)).
Processus de recherche
Conception expérimentale
Pour étudier si des événements cardiaques tels que l’IC modifient les cellules souches hématopoïétiques (HSC) et influencent la fonction cardiaque, nous avons induit une IC chez des souris en utilisant la technique de constriction aortique transverse (TAC). Quatre semaines après l’induction, nous avons collecté les moelles osseuses (BM) des souris IC et des groupes témoins et les avons transplantées chez de jeunes souris en bonne santé ayant subi une irradiation létale. Quatre mois plus tard, les souris réceptrices de BM provenant de souris IC montraient une diminution de la fonction cardiaque et une augmentation de la fibrose, plus prononcées au bout de six mois.
Modification du potentiel de différenciation des HSC
Pour explorer si le TAC affecte le potentiel de différenciation des HSC, nous avons réalisé des expériences de codifférenciation de HSC à long terme (CD45+Lin−Sca1+cKit+CD34−Flt3−CD150+CD48−). La cytométrie de flux a révélé une augmentation des ratios de monocytes et de neutrophiles dérivés des HSC du TAC, et une augmentation des macrophages cardiaques Ly6Clow CCR2+, sans changement notable des macrophages Ly6Clow CCR2−. Ces résultats indiquent que les HSC exposées au TAC sont plus susceptibles de se différencier en macrophages CCR2+.
Compétition de la potentialité des HSC et BM
Pour analyser davantage l’impact du TAC sur les HSC, nous avons mené une série d’expériences de transplantation compétitive. Utilisant des souris marquées par la protéine fluorescente verte améliorée (EGFP), des souris de type sauvage et des souris ayant un génotype CD45.1/CD45.2, nous avons observé que les HSC du TAC ont une tendance à biaiser vers les cellules myéloïdes, tandis que leur efficacité de différenciation en macrophages cardiaques reste faible.
Analyse de transcriptomique et accessibilité à la chromatine
Grâce à des analyses d’accessibilité globale de la chromatine et de séquençage d’ARN monocellulaire (scRNA-Seq), nous avons découvert une inhibition de la voie de signalisation du TGF-β dans les HSC du TAC. Cela correspond à une réduction de l’activité des nerfs sympathiques de la moelle osseuse. D’autres expériences ont montré que la transplantation de HSC de souris avec TGF-β inhibé aggravait aussi la dysfonction cardiaque, suggérant que le TAC modifie l’épigénome des HSC en inhibant la voie TGF-β, ce qui altère leur capacité à générer des sous-groupes de macrophages cardiaques.
Suivi des variantes des HSC
En utilisant une technologie de code-barres ADN pour suivre les descendants des HSC, nous avons trouvé une variation significative dans la distribution des clones HSC dans le sang et les macrophages tissulaires, indiquant une hétérogénéité des capacités de différenciation parmi les sous-groupes HSC. Les cellules dérivées des HSC du TAC préféraient repeupler les monocytes circulants plutôt que les macrophages cardiaques ou rénaux, suggérant que les HSC exposées au TAC pourraient contenir des sous-groupes relativement plus petits ou endommagés, moins capables de produire des macrophages tissulaires.
“Mémoire de stress” des HSC
L’étude a également révélé une prolifération des HSC et un biais vers les myéloïdes déclenchés par une surcharge de stress cardiaque, liée à une inhibition de l’activation du TGF-β. Des imageries tridimensionnelles en direct de la moelle osseuse (CLARITY) et des dosages par immunoadsorption enzymatique (ELISA) ont montré que la dénervation sympathique post-TAC réduisait les niveaux de TGF-β actif dans la moelle osseuse. Des expériences subséquentes ont confirmé l’importance du système nerveux sympathique dans l’effet du TAC sur la moelle osseuse et ont suggéré que les changements HSC induits par le TAC perdurent, laissant une “mémoire de stress” dans les HSC.
Induction de la vulnérabilité rénale et musculaire par transplantation de moelle osseuse
Nous avons aussi examiné si les modifications des HSC induites par le TAC intensifiaient les réponses pathologiques dans d’autres organes. Le modèle d’obstruction urétérale unilatérale (UUO) a montré que les souris transplantées avec de la moelle osseuse TAC présentaient des lésions tubulaires rénales et une fibrose interstitielle plus marquées que les groupes témoins. De plus, les cellules dérivées des HSC du TAC accentuaient les défauts de guérison et de régénération après des blessures musculaires squelettiques.
Méthodes et matériaux
L’étude a utilisé des souris C57BL/6J, élevées dans un environnement sans pathogène au centre animalier de l’Université de Tokyo. Toutes les expériences ont été approuvées par le comité d’éthique de l’Université de Tokyo et ont strictement suivi les directives correspondantes. L’objectif de la recherche était d’explorer le rôle des HSC et de la mémoire immunitaire innée induits par l’IC, et de comprendre l’impact de l’IC sur les schémas de différenciation des HSC et leurs descendants.
Conclusion de l’étude
Cette étude montre que l’insuffisance cardiaque modifie l’épigénome et le potentiel de différenciation des cellules souches hématopoïétiques, influence les cellules des cœurs, reins et muscles squelettiques et leurs mécanismes de réponse au stress. Étant donné l’importance des macrophages tissulaires dans le maintien de la santé organique et la réponse au stress, ces découvertes révèlent que les HSC sous contrainte cardiaque pourraient porter une “mémoire de stress”, devenant un facteur clé des événements IC récurrents et des comorbidités.
Valeur de l’étude
Cette recherche approfondit non seulement notre compréhension théorique des mécanismes des HSC dans l’insuffisance cardiaque, mais pourrait aussi fournir des cibles potentielles pour traiter l’insuffisance cardiaque et ses comorbidités associées. En régulant la voie de signalisation TGF-β dans la moelle osseuse, on pourrait potentiellement inhiber ou inverser les dommages tissulaires et les dysfonctionnements causés par l’IC. Cela ouvre de nouvelles perspectives pour le traitement des maladies cardiovasculaires à l’avenir.