L'influence de l'APOEε4 sur l'interactome de pTau dans la maladie d'Alzheimer sporadique

Effet de l’APOEε4 sur le réseau d’interaction de la protéine tau phosphorylée dans la maladie d’Alzheimer

Introduction

La maladie d’Alzheimer (AD) est une maladie neurodégénérative caractérisée par les dépôts extracellulaires de la protéine β-amyloïde (Aβ) et l’accumulation intracellulaire de protéine tau anormalement phosphorylée (tau phosphorylée, ptau), formant des enchevêtrements neurofibrillaires. Les mécanismes de la maladie d’Alzheimer sont étroitement liés à la progression neuroanatomique de la pathologie tau, affectant successivement différentes régions du cerveau, selon les stades de Thal (pathologie Aβ) et les stades de Braak (pathologie tau).

Parmi les facteurs de risque génétiques de l’AD, le polymorphisme du gène de l’apolipoprotéine E (APOE) est un facteur majeur, l’allèle APOEε4 étant positivement corrélé au risque accru et à l’âge précoce de l’AD sporadique. En revanche, l’allèle APOEε2 est considéré comme protecteur. L’APOE, glycoprotéine sécrétée principalement par les astrocytes, est habituellement impliquée dans le transport des phospholipides et du cholestérol. L’APOE est co-localisée avec les dépôts d’Aβ, et l’allèle ε4 est étroitement lié à l’aggravation de la pathologie Aβ.

Bien que l’APOE ait été largement étudiée, son rôle dans la pathologie tau reste incomplet. Des données récentes indiquent que le polymorphisme de l’APOE affecte également la pathologie tau phosphorylée. Certaines études montrent qu’in vivo, l’APOEε4 peut influencer l’accumulation de ptau indépendamment de Aβ, mais la relation entre APOE et ptau demeure floue et nécessite davantage de recherches pour élucider le rôle de l’APOE dans la pathologie tau.

Origine de l’étude

L’article intitulé “The Influence of APOEε4 on the pTau Interactome in Sporadic Alzheimer’s Disease” a été rédigé par Manon Thierry, Jackeline Ponce, Mitchell Martà-Ariza et al., avec la participation de la Faculté de Médecine de l’Université de New York et de plusieurs autres institutions. Cette étude a été publiée en 2024 dans la revue Acta Neuropathologica.

Méthodes de recherche

Pour révéler l’effet de l’APOEε4 sur ptau, l’équipe de recherche a utilisé une série de protocoles expérimentaux tels que la co-immunoprécipitation avec des anticorps anti-ptau et la spectrométrie de masse.

Processus de recherche

Collecte et traitement des échantillons : - 25 échantillons de cortex préfrontal de patients atteints d’AD sporadique ont été recueillis auprès des centres de recherche sur l’AD des universités de New York et de Columbia. - Les échantillons ont été séparés en deux groupes selon le génotype APOE : groupe APOEε3/ε3 et groupe APOEε4/ε4, appariés pour l’âge, le sexe et les comorbidités. - Les échantillons ont été traités par des méthodes biochimiques conventionnelles et de génotypage, incluant l’extraction d’ADN, la PCR et le séquençage Sanger.

Co-immunoprécipitation et analyse par spectrométrie de masse : - Immunoprécipitation avec l’anticorps anti-ptau PHF1 pour recueillir ptau et ses protéines partenaires. - Après dégradation, extraction et élution, les protéines ont été analysées par chromatographie en phase liquide-tandem spectrométrie de masse (LC-MS/MS). - Les données de la spectrométrie de masse ont été traitées avec le logiciel Proteome Discoverer et l’algorithme “Significance Analysis of Interactome Express Algorithm (SAINT)”, pour identifier les protéines d’interaction potentielles de ptau.

Analyses biochimiques et validation : - L’enrichissement de ptau dans les produits d’immunoprécipitation a été vérifié par western blot et coloration argentique. - L’influence du génotype APOE sur la localisation et les caractéristiques pathologiques de ptau a été déterminée par immunohistochimie.

Analyse des données et enrichissement fonctionnel des réseaux

Pour analyser les données de la spectrométrie de masse, l’équipe de recherche a utilisé STRING et Cytoscape. L’analyse des termes de l’ontologie génétique (Gene Ontology, GO) et l’enrichissement fonctionnel des réseaux ont permis de classifier et d’identifier les protéines d’interaction de ptau et de confirmer leur rôle dans les processus cellulaires et biologiques.

Résultats de la recherche

Les résultats montrent que le génotype APOE influence significativement le réseau d’interaction de ptau (interactome). Les principaux résultats incluent :

1. Protéines d’interaction partagées de ptau :

33 protéines interagissant avec ptau ont été identifiées, principalement liées au système protéasomique, au métabolisme des ARN et aux processus de dégradation des protéines.

2. Protéines d’interaction spécifiques à APOEε3/ε3 et APOEε4/ε4 :

  • APOEε3/ε3 : 47 protéines d’interaction ptau, majoritairement nucléaires, impliquées dans les processus de métabolisme des ARN.
  • APOEε4/ε4 : 35 protéines d’interaction ptau, principalement synaptiques, impliquées dans le transport cellulaire.

3. Caractéristiques morphologiques de la pathologie tau :

L’analyse immunohistochimique montre une densité significativement plus élevée de noyaux neuronaux ptau-positifs dans le groupe APOEε4/ε4 que dans le groupe APOEε3/ε3, particulièrement dans les terminaisons axonales et les zones synaptiques, suggérant que l’APOEε4 pourrait favoriser la propagation de la pathologie tau vers les zones cérébrales affectées par Aβ.

4. Angiopathie amyloïde cérébrale (CAA) :

Le groupe APOEε4/ε4 présente une fréquence et une sévérité plus élevées de la CAA que le groupe APOEε3/ε3, indiquant que l’APOEε4 est liée à l’aggravation de la pathologie CAA.

Conclusion et significations

L’étude démontre que l’allèle APOEε4 influence non seulement le risque et la pathologie Aβ de l’AD, mais affecte également la localisation subcellulaire et les interactions de ptau, impactant le développement de la pathologie tau. Cette découverte offre de nouvelles cibles thérapeutiques potentielles, particulièrement pour les porteurs de l’allèle APOEε4.

Points forts et nouveautés de l’étude

  • Première comparaison des réseaux d’interaction de ptau chez les porteurs d’APOEε3/ε3 et d’APOEε4/ε4 dans l’AD sporadique.
  • Découverte que l’APOEε4 favorise la localisation de ptau dans les synapses et les terminaisons nerveuses, ce qui pourrait expliquer l’effet promoteur de l’APOEε4 sur la progression de la pathologie tau.
  • Les données soutiennent que l’APOEε4 aggrave la pathologie de l’AD en influençant les processus de transport cellulaire et de métabolisme des ARN.

Importance et valeur de l’application

Cette recherche révèle un nouveau mécanisme d’influence de l’APOEε4 sur la pathologie tau non liée à l’Aβ dans l’AD, soulignant l’importance du génotype APOE dans les stratégies de traitement individualisé. Des recherches futures devraient explorer davantage les interactions des différents épitopes tau à divers stades de l’AD pour fournir une base théorique pour un diagnostic précoce et une intervention plus précise.