Cibler le récepteur de la transferrine pour transporter les oligonucléotides antisens à travers la barrière hémato-encéphalique des mammifères
Introduction
Ces dernières années, les technologies thérapeutiques basées sur les oligonucléotides, telles que les oligonucléotides antisens (ASO) et les petits ARN interférents (siRNA), ont été largement utilisées dans le traitement de diverses maladies neurologiques. Leur application repose sur la capacité de ces technologies à réguler sélectivement les molécules d’ARN cibles, qui sont souvent difficiles à contrôler par d’autres approches thérapeutiques. En particulier, après l’approbation du Nusinersen en 2016 pour le traitement de l’atrophie musculaire spinale, le potentiel des ASO dans les maladies du système nerveux central (SNC) a fait l’objet d’une attention et de recherches accrues. Cependant, en raison de leurs propriétés biophysiques intrinsèques, telles que leur poids moléculaire élevé, leur charge et la chimie de leur squelette, les oligonucléotides ont du mal à traverser la barrière hémato-encéphalique (BHE), ce qui nécessite leur administration directe dans le liquide céphalo-rachidien (LCR) par injection intrathécale pour affecter le SNC. Cette méthode d’administration présente plusieurs limitations, telles qu’une distribution inégale du médicament dans les régions profondes du cerveau et des effets indésirables potentiels liés à l’injection intrathécale. Par conséquent, la recherche de méthodes d’administration efficaces et sûres est devenue une question urgente à résoudre.
Contexte et origine de la recherche
Cet article de recherche intitulé “Targeting the Transferrin Receptor to Transport Antisense Oligonucleotides Across the Mammalian Blood-Brain Barrier” a été rédigé par Scarlett J. Barker et son équipe, et l’étude a été menée en collaboration entre Denali Therapeutics Inc. et Ionis Pharmaceuticals. L’article a été publié dans la revue “Science Translational Medicine” le 14 août 2024. Cette recherche vise à développer une plateforme de distribution basée sur le récepteur de la transferrine 1 (TfR1) pour transporter les ASO vers le cerveau des mammifères par injection systémique, surmontant ainsi les limitations des technologies actuelles.
Méthodologie de recherche
Conception expérimentale et sujets de recherche
Cette étude a d’abord testé la biodistribution et l’effet de dégradation de l’ARN d’une molécule de liaison au TfR1 modifiée, appelée transporteur d’oligonucléotides (OTV), chez des souris génétiquement modifiées pour le gène TfR1 (souris Tfr1mu/hu KI) et des primates non humains. Les auteurs ont décrit en détail le processus de recherche en plusieurs étapes :
1. Fabrication et caractéristiques des molécules OTV
L’équipe de recherche a exprimé et purifié des molécules OTV contenant un domaine Fc modifié à partir de lignées cellulaires CHO. Ce domaine peut se lier spécifiquement au TfR1 sans affecter la liaison normale de la transferrine. Ensuite, l’équipe a utilisé des méthodes de synthèse chimique pour lier de manière stable et spécifique l’ASO cible à l’OTV, et a analysé la pureté et le ratio de liaison du produit par spectrométrie de masse et chromatographie par filtration sur gel.
2. Expériences d’absorption et de transport cellulaires
Les chercheurs ont vérifié l’absorption et la distribution intracellulaires de l’OTV par des expériences in vitro, y compris des tests de liaison sur des cellules exprimant HTFR1, et ont déterminé l’affinité de l’OTV pour HTFR1 à l’aide de la technique de résonance plasmonique de surface (SPR). De plus, la distribution de l’OTV doublement marqué dans les cellules neuronales a été observée en détail par microscopie confocale, confirmant que l’OTV pouvait être absorbé par les cellules et se localiser principalement dans les endosomes tardifs et les lysosomes.
3. Expériences animales
Chez les souris et les primates non humains, l’équipe de recherche a injecté l’OTV par voie intraveineuse systémique et prélevé des échantillons de divers tissus pour mesurer la concentration d’ASO dans le cerveau et les tissus périphériques, ainsi que l’effet de dégradation sur l’ARN cible (MALAT1). En particulier chez les souris, la technique de séquençage à noyau unique de l’ARN a été utilisée pour analyser en détail les niveaux de MALAT1 dans divers types de cellules cérébrales.
Résultats de la recherche
1. Construction et caractéristiques de liaison de l’OTV
Les expériences ont montré que les molécules OTV liées de manière spécifique au site maintiennent une haute affinité pour TfR1 tout en n’affectant pas la liaison et la fonction de l’ASO. Cette propriété garantit que l’OTV peut traverser efficacement la barrière hémato-encéphalique et libérer l’ASO.
2. Expériences de distribution intracellulaire et de phagocytose
Les résultats des expériences cellulaires ont montré que l’OTV peut être efficacement absorbé par les cellules et se localise principalement dans les endosomes et les lysosomes. Par rapport à l’ASO nu, la distribution subcellulaire des molécules OTV n’a pas changé de manière significative, ce qui indique que l’OTV peut transporter efficacement l’ASO et améliorer sa stabilité intracellulaire.
3. Effets in vivo
Dans le modèle murin, l’OTV injecté de manière systémique a considérablement augmenté la concentration d’ASO dans le cerveau et les tissus périphériques, en particulier dans les structures cérébrales profondes et les tissus musculaires, où l’OTV a montré un meilleur effet de dégradation de l’ARN MALAT1. Les résultats du séquençage à noyau unique ont montré une réduction significative des niveaux de MALAT1 dans tous les principaux types de cellules cérébrales, indiquant que l’OTV peut être largement distribué et exercer son action.
Chez les primates non humains, l’injection systémique d’OTV a permis une biodistribution plus uniforme de l’ASO, délivrant plus efficacement l’ASO aux régions cérébrales profondes par rapport à l’injection intrathécale, réduisant ainsi l’accumulation à forte concentration du médicament au site d’injection et les effets secondaires associés.
Conclusion et signification
Nouveauté et valeur de la recherche
À travers cette étude, les auteurs ont proposé une nouvelle plateforme de distribution d’ASO basée sur TfR1, appelée OTV. Cette méthode non seulement surmonte les limitations des modes de distribution traditionnels, réalisant une distribution efficace d’ASO à travers la barrière hémato-encéphalique, mais améliore également significativement la distribution et l’efficacité du médicament dans le SNC et d’autres tissus périphériques difficiles d’accès. Compte tenu des applications potentielles des ASO en thérapie génique, la plateforme OTV pourrait être utilisée à l’avenir pour traiter diverses maladies neurodégénératives et périphériques, ouvrant ainsi de nouvelles voies pour le traitement par ASO.
Cette recherche a non seulement une valeur scientifique importante, mais fournit également de nouvelles idées et un soutien technique pour l’application clinique des médicaments ASO. Elle a le potentiel d’améliorer considérablement l’efficacité et la sécurité des thérapies géniques existantes, apportant de nouveaux espoirs et options de traitement aux patients atteints de maladies connexes.