L'expérience visuelle réduit la redondance spatiale entre les entrées de rétroaction corticale et les neurones du cortex visuel primaire
Dans une étude intitulée “Visual Experience Reduces the Spatial Redundancy between Cortical Feedback Inputs and Primary Visual Cortex Neurons”, Rodrigo F. Dias, Radhika Rajan et leur équipe ont exploré comment l’expérience visuelle influence la redondance spatiale des voies de rétroaction corticale. Cette recherche a été menée par des scientifiques du Champalimaud Neuroscience Programme à la Fondation Champalimaud de Lisbonne, Portugal, et publiée dans le journal 《Neuron》 le 9 octobre 2024. L’étude se concentre sur les circuits de rétroaction du cortex visuel chez la souris, explorant comment l’expérience visuelle modifie l’organisation des entrées des zones visuelles supérieures (lateromedial, zone LM) vers le cortex visuel primaire (cortex visuel primaire, V1).
Contexte et motivation de la recherche
La cognition visuelle est un processus complexe incluant le traitement de la perception externe et l’intégration des rétroactions cognitives supérieures. Des recherches actuelles indiquent que les rétroactions des zones corticales supérieures peuvent ajuster l’activité neuronale du cortex visuel primaire en fonction de contextes spécifiques et des attentes. La perception visuelle est considérée comme réalisée par un réseau hiérarchique incluant des traitements multiniveaux et des rétroactions, mais l’intégration de l’information entre ces niveaux et les mécanismes concrets ne sont pas entièrement compris. La littérature existante montre que l’information de rétroaction de la zone LM peut correspondre précisément à certains modes d’activité neuronale du cortex visuel primaire V1 et est influencée par l’expérience. La structuration topologique de ces circuits de rétroaction est liée à l’expérience visuelle, mais son mécanisme est encore inconnu. Dias et al. espèrent que cette recherche révélera l’impact de l’expérience visuelle sur la structure organisationnelle des circuits de rétroaction entre la zone LM et le V1 chez les souris, afin de comprendre comment les régions corticales supérieures régulent la perception du cortex primaire en fonction de l’expérience visuelle.
Processus et méthodes de recherche
Pour explorer l’influence de l’expérience visuelle sur la structure organisationnelle feedback entre LM et V1, l’équipe de recherche a divisé les souris en différents environnements d’élevage : élevées entièrement dans l’obscurité (dark-reared postnatal day 0, DRP0), exposées à la lumière pendant les 21 premiers jours après la naissance puis élevées dans l’obscurité (dark-reared postnatal day 21, DRP21), et élevées dans un cycle de lumière normal (normally reared, NR). L’équipe a utilisé des marquages fluorescents et l’imagerie biphotonique pour enregistrer l’activité des axones neuronaux LM dans la couche 1 (L1) du V1 sous différentes conditions. La zone LM a été injectée avec les protéines fluorescentes GCaMP6s et l’indicateur calcique rouge jRGECO1a pour marquer l’activité neuronale de LM et du V1 et vérifier la précision des signaux par imagerie.
L’expérience a utilisé la méthode de stimulation par gratings mobiles pour fournir une stimulation visuelle à l’œil opposé des souris. La recherche a quantifié la redondance spatiale des informations de rétroaction par la mesure du chevauchement entre le champ récepteur (receptive field, RF) des entrées LM et celui des neurones V1. L’équipe a également développé un modèle computatif simulant comment l’expérience visuelle change l’organisation feedback entre neurones LM et V1 en minimisant le chevauchement de champ récepteur.
Résultats expérimentaux
1. L’expérience visuelle réduit la redondance feedback de LM vers V1
Les résultats montrent que l’expérience visuelle ne modifie pas la structure topologique générale des entrées LM, qui correspondent spatialement aux neurones V1, même chez les souris élevées dans l’obscurité. Cependant, chez les souris élevées normalement, l’adéquation spatiale des entrées feedback LM avec les neurones V1 est relativement plus faible, ce qui signifie que davantage d’informations des entrées LM concernent l’arrière-plan lointain plutôt que l’information locale, un phénomène qui n’est pas évident chez les souris élevées complètement dans l’obscurité. Des analyses de données supplémentaires indiquent que l’augmentation de l’expérience visuelle réduit le chevauchement spatial des entrées feedback, permettant ainsi une réduction de la redondance des informations visuelles.
2. Différenciation des voies feedback à différents niveaux
La recherche a également révélé des différences significatives dans la redondance spatiale des voies de rétroaction provenant des couches N2/3 et N5 de la zone LM. Les entrées feedback de la couche L2/3 sont plus concentrées dans les régions voisines du V1, tandis que celles de la couche L5 tendent à transmettre des informations de l’arrière-plan lointain. Chez les souris élevées normalement, les entrées de la couche L5 montrent une sélectivité directionnelle dépendant de l’expérience visuelle. Les chercheurs ont observé que les neurones de la couche L5 ont un avantage sur ceux de la couche L2/3 pour le transfert d’informations visuelles environnantes, suggérant que les circuits feedback à différents niveaux pourraient jouer des rôles fonctionnels distincts dans le traitement visuel.
3. Dépendance de l’organisation sélective directionnelle à l’expérience
Des analyses supplémentaires ont montré que les entrées LM de la couche L5, basées sur leur préférence directionnelle des gratings, adoptent une organisation dépendant de l’expérience. Les résultats expérimentaux indiquent que les neurones avec une préférence pour les orientations verticale ou horizontale dans la couche L5 montrent des différences selon la position spatiale, et que l’expérience visuelle renforce cette organisation spatiale de la sélectivité directionnelle, réduisant la distribution longitudinale des entrées feedback avec préférence verticale. Ce phénomène n’est pas observé dans la couche L2/3, indiquant que l’expérience visuelle influence principalement l’organisation sélective directionnelle de la couche L5.
4. Validation du modèle computationnel
Le modèle computationnel de l’équipe a réussi à simuler l’influence de l’expérience visuelle sur les circuits feedback LM-V1. Le modèle réalise la déredondation des informations visuelles en sélectionnant des entrées feedback non chevauchantes, confirmant que l’organisation dépendant de l’expérience dans les circuits feedback LM peut être réalisée par la réduction du chevauchement de champ récepteur. Cette découverte soutient la théorie du rôle de la rétroaction dans l’encodage prédictif du cortex visuel, en précisant que les circuits feedback réduisent sélectivement les connexions avec les neurones en aval pour prédire l’activité conjointe des neurones de hauts et bas niveaux.
Conclusions et implications de la recherche
Les travaux de Dias et collègues montrent que l’expérience visuelle joue un rôle crucial dans la réduction de la redondance spatiale des cheminements de rétroaction entre LM et V1. Ce processus de déredondation pourrait être réalisé via une organisation sélective dépendante de l’expérience, fournissant une base physiologique importante pour expliquer comment le cerveau intègre les informations visuelles supérieures par des mécanismes de rétroaction. L’étude révèle non seulement la structure organisationnelle fine des projections de rétroaction dans le cortex visuel mais montre également comment l’expérience visuelle peut façonner l’unicité de cette structure de rétroaction via des mécanismes spécifiques. Les résultats de la recherche soutiennent la théorie selon laquelle les entrées de rétroaction dans la computation hiérarchique doivent apprendre à prédire l’activité neuronale des niveaux inférieurs, fournissant un mécanisme physiologique sur comment le cerveau optimise le traitement de l’information visuelle en réduisant la redondance spatiale entre les neurones. Cette découverte pourrait offrir de nouvelles perspectives pour la recherche sur les mécanismes neuronaux liés à la perception visuelle, et potentiellement fournir une base théorique pour la récupération des lésions visuelles et l’entraînement perceptuel.
Points forts de la recherche
- Effet de la minimisation spatiale de la redondance par l’expérience visuelle : L’expérience visuelle peut réduire le chevauchement des champs récepteurs entre les entrées LM et les neurones V1, ce qui permet une déredondation des informations visuelles.
- Rôle différencié des circuits feedback à différents niveaux : Les entrées feedback de différentes couches (L2/3 et L5) affichent des différences fonctionnelles dans le transfert d’information proche ou éloignée, suggérant des rôles spécifiques des circuits feedback dans la perception visuelle.
- Organisation sélective directionnelle dépendante de l’expérience visuelle : Les entrées feedback de la couche L5 de LM montrent, en fonction de la sélectivité directionnelle, une organisation spatiale dépendante de l’expérience.
- Validation par le modèle computationnel : Le modèle développé lors de l’expérience a parfaitement simulé le mécanisme organisationnel de feedback dépendant de l’expérience, soutenant la fonction d’encodage prédictif des circuits feedback du cortex visuel dans le traitement de l’information.
Les découvertes de cette recherche offrent une nouvelle perspective pour comprendre les circuits de rétroaction du cortex visuel, révélant comment l’expérience visuelle façonne les structures organisationnelles entre les neurones, fournissant un soutien expérimental important pour la nature hiérarchique et dépendante de l’expérience des réseaux neuronaux de perception visuelle.