La relation entre le risque de cancer et l'accélération de l'âge épigénétique après un AVC

Risque à Long Terme de Cancer Après un AVC : Rapport

Contexte et Importance de l’Étude

Le cancer et les accidents vasculaires cérébraux (AVC) figurent parmi les principales causes de morbidité et de mortalité dans le monde, mettant en lumière leur interdépendance complexe. Selon des études, environ 6 % des patients atteints de cancer subissent un AVC au cours de leur vie, tandis que les survivants d’un AVC présentent un risque de développer un cancer deux fois plus élevé que la population générale. De plus, des données suggèrent que l’AVC, qu’il soit ischémique ou hémorragique, peut précéder le diagnostic d’un cancer, ce qui souligne la nécessité de mieux comprendre les mécanismes sous-jacents.

La méthylation de l’ADN (DNA methylation, DNAm), une modification épigénétique clé, permet d’évaluer l’âge biologique (biological age, B-age) à l’aide d’horloges épigénétiques qui analysent les profils de méthylation de sites CpG spécifiques. Ces horloges se révèlent plus précises que l’âge chronologique (chronological age, C-age) pour prédire des issues de santé comme le risque de cancer ou d’AVC. Cependant, la relation entre l’accélération de l’âge biologique et le risque de cancer après un AVC reste inexplorée.

Cette étude, menée par Suárez-Pérez et collaborateurs, et publiée dans Genome Medicine, vise à examiner cette relation en utilisant des données d’une cohorte prospective et des outils d’analyse avancés pour mieux comprendre comment les changements épigénétiques influencent les résultats de santé après un AVC.

Sources et Contexte

Cette recherche a été réalisée par l’Hôpital del Mar et ses instituts affiliés à Barcelone, en Espagne. Les données proviennent de l’étude BASICMAR, une base de données exhaustive sur les AVC, comprenant des informations démographiques, cliniques et biologiques. Les patients inclus ont été recrutés entre 2005 et 2014, et le suivi s’est terminé en janvier 2023. Parmi les auteurs, Jordi Jiménez-Conde et Angel Ois sont les correspondants principaux.

Méthodologie et Design de l’Étude

Sélection des Participants

L’analyse a inclus 648 patients répondant aux critères suivants : - AVC ischémique ou hémorragique aigu ; - Pas de diagnostic antérieur de cancer ; - Suivi clinique d’au moins 3 mois.

Analyse de la Méthylation de l’ADN

  1. Préparation des Échantillons :

    • L’ADN a été extrait à partir d’échantillons de sang périphérique collectés dans les 24 heures suivant l’AVC.
    • Deux plateformes Illumina (450K et Epic) ont été utilisées pour mesurer les profils de méthylation.
  2. Calcul des Âges Épigénétiques :

    • Six horloges épigénétiques ont été appliquées (Hannum, Horvath, PhenoAge, ZhangEN, ZhangBLUP et EpiToc).
    • Les accélérations d’âge extrinsèque (extrinsic epigenetic age acceleration, EEAA) et intrinsèque (intrinsic epigenetic age acceleration, IEAA) ont été calculées pour contrôler les effets des proportions cellulaires.

Suivi et Critères de Fin d’Étude

  • Le critère principal était l’incidence de nouveaux diagnostics de cancer, confirmés par un oncologue, durant le suivi.
  • Les données ont été collectées via des consultations hospitalières, des dossiers électroniques et des contacts téléphoniques réguliers.

Analyse Statistique

  • Des modèles de régression de Cox et de Fine-Gray ont évalué les associations entre EEAA, IEAA et le risque de cancer, en ajustant les variables confondantes (sexe, type d’AVC, alcoolisme, etc.).
  • Les résultats ont été corrigés pour les comparaisons multiples (méthode de Benjamini-Hochberg).

Résultats Principaux

Caractéristiques de la Cohorte

  • L’âge médian était de 73 ans (IQR : 62–80), et 59,4 % des participants étaient des hommes.
  • Pendant une durée médiane de suivi de 8,15 ans (IQR : 3,84–10,94), 83 patients (12,8 %) ont développé un cancer, les cancers gastro-intestinaux étant les plus fréquents (41 % des cas).

Association entre Âge Épigénétique et Risque de Cancer

  1. EEAA et Cancer :

    • L’EEAA mesurée par l’horloge de Hannum était significativement associée au risque de cancer (HR = 1,06, IC 95 % : 1,02–1,10, p = 0,002). Chaque année d’accélération augmentait le risque de cancer de 6 %.
    • L’horloge de Zhang et les valeurs EpiToc ont également montré des associations significatives dans des analyses univariées.
  2. IEAA et Cancer :

    • L’analyse de l’IEAA a confirmé les résultats pour l’horloge de Hannum, indiquant que les cellules immunitaires jouent un rôle important dans la relation entre l’âge biologique et le cancer.
  3. EpiToc :

    • Les scores EpiToc, indicateurs du nombre cumulatif de divisions cellulaires, étaient également corrélés à un risque accru de cancer (augmentation de 27,6 % à 28,8 % par écart-type).

Modérateurs et Facteurs Confondants

  • Le sexe a modéré les associations pour certaines horloges, avec un risque de cancer plus élevé chez les femmes pour l’horloge de Zhang.
  • Aucun effet significatif n’a été observé pour le type d’AVC ou la plateforme d’analyse (450K vs. Epic).

Conclusions

Cette étude est la première à démontrer que l’accélération de l’âge biologique, particulièrement mesurée par l’horloge de Hannum, est un prédicteur indépendant du risque de cancer à long terme après un AVC. Ces résultats soulignent l’utilité potentielle des biomarqueurs épigénétiques pour identifier les patients AVC à haut risque de cancer.

Les implications cliniques comprennent : - L’intégration des données épigénétiques dans les modèles de prédiction des risques ; - Une meilleure compréhension des mécanismes épigénétiques impliqués dans les résultats post-AVC.

Cependant, des recherches supplémentaires avec des échantillons plus larges et des approches multicentriques sont nécessaires pour valider ces conclusions et explorer des applications thérapeutiques basées sur la modification de l’âge biologique.