Ingénierie bactérienne pour l'immunothérapie du cancer en inhibant l'activité de l'IDO et en reprogrammant la réponse des cellules T CD8+

Biologie synthétique dans l’immunothérapie du cancer : Ingénierie bactérienne pour inhiber l’activité de l’IDO et reprogrammer la réponse des cellules T CD8+

Contexte académique

Ces dernières années, l’immunothérapie du cancer a connu des avancées significatives, notamment grâce à l’activation des cellules T pour combattre les tumeurs. Cependant, les adaptations métaboliques dans le microenvironnement tumoral (Tumor Microenvironment, TME) entraînent souvent une altération de la fonction des cellules T, limitant ainsi l’efficacité de l’immunothérapie. Parmi les facteurs clés, le métabolisme du tryptophane (Tryptophan, Trp) joue un rôle crucial dans la fonction des cellules T. Les cellules tumorales expriment l’enzyme indoleamine 2,3-dioxygénase (Indoleamine 2,3-Dioxygenase, IDO), qui consomme le tryptophane, entraînant l’accumulation de son métabolite, la kynurénine (Kynurenine, Kyn), ce qui inhibe la fonction des cellules T effectrices et crée un microenvironnement immunosuppresseur. Bien que les inhibiteurs de l’IDO aient montré un potentiel dans les modèles précliniques, ils rencontrent de nombreux défis dans les essais cliniques, tels que les effets hors cible et la toxicité.

Pour résoudre ces problèmes, les chercheurs ont commencé à explorer les technologies de biologie synthétique pour modifier génétiquement des bactéries afin de réguler les signaux métaboliques dans le microenvironnement tumoral, renforçant ainsi l’activité antitumorale des cellules T. Cette étude a modifié génétiquement Clostridium butyricum (CB) pour qu’il puisse libérer en continu du tryptophane et de l’acide butyrique, inhibant ainsi l’activité de l’IDO et reprogrammant le métabolisme des cellules T CD8+, afin d’inhiber la croissance tumorale.

Source de l’article

Cet article a été co-écrit par Heng Wang, Fang Xu, Chenlu Yao et d’autres auteurs, provenant de plusieurs institutions de recherche, dont Soochow University (Université de Soochow). L’article a été publié le 18 décembre 2024 dans la revue PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences), sous le titre Engineering bacteria for cancer immunotherapy by inhibiting IDO activity and reprogramming CD8+ T cell response.

Processus et résultats de la recherche

1. Ingénierie génétique de Clostridium butyricum (L-Trp CB)

Les chercheurs ont d’abord utilisé des techniques de génie génétique pour insérer les gènes impliqués dans la synthèse du tryptophane (trpE, trpD, trpC, trpB, trpA) dans le plasmide de Clostridium butyricum, créant ainsi une souche bactérienne (L-Trp CB) capable de libérer en continu du tryptophane. Grâce à la PCR quantitative et à la chromatographie liquide à haute performance (HPLC), ils ont confirmé que L-Trp CB exprimait efficacement les enzymes de synthèse du tryptophane et libérait de grandes quantités de tryptophane. De plus, L-Trp CB conservait la capacité de produire de l’acide butyrique, qui inhibe l’activité de l’IDO, empêchant ainsi la dégradation du tryptophane et l’accumulation de kynurénine.

2. Effets de L-Trp CB sur les cellules tumorales et les cellules T

Les expériences in vitro ont montré que l’acide butyrique libéré par L-Trp CB réduisait significativement l’expression de l’IDO dans diverses cellules tumorales, diminuant ainsi la consommation de tryptophane. Parallèlement, le tryptophane libéré par L-Trp CB favorisait la prolifération et la fonction des cellules T CD8+, renforçant leur phénotype effecteur. Les analyses métaboliques ont révélé que L-Trp CB augmentait significativement les niveaux de phosphorylation oxydative et de glycolyse dans les cellules T CD8+, améliorant ainsi leur métabolisme énergétique et leur activité antitumorale.

3. Effet antitumoral de L-Trp CB dans les modèles animaux

Dans plusieurs modèles tumoraux chez la souris et le lapin, L-Trp CB a colonisé sélectivement les tissus tumoraux et inhibé de manière significative la croissance tumorale. Grâce à l’imagerie par bioluminescence et à la cytométrie en flux, les chercheurs ont observé que L-Trp CB augmentait de manière significative la proportion et la fonction des cellules T CD8+ infiltrant les tumeurs, tout en réduisant les signaux immunosuppresseurs dans le microenvironnement tumoral. De plus, l’utilisation combinée de L-Trp CB avec un inhibiteur de PD-L1 a produit un effet synergique antitumoral, prolongeant de manière significative la survie des animaux.

4. Reprogrammation métabolique des cellules T CD8+ par L-Trp CB

Grâce au séquençage d’ARN monocellulaire et à l’analyse d’enrichissement des ensembles de gènes (GSEA), les chercheurs ont découvert que L-Trp CB augmentait de manière significative l’expression des gènes liés à la glycolyse, au cycle de l’acide tricarboxylique (TCA) et à la phosphorylation oxydative dans les cellules T CD8+, améliorant ainsi leur métabolisme énergétique et leur fonction effectrice. De plus, L-Trp CB activait la voie de signalisation mTORC1, favorisant davantage la reprogrammation métabolique et l’activité antitumorale des cellules T CD8+.

Conclusion et signification

Cette étude a modifié génétiquement Clostridium butyricum pour créer une souche bactérienne (L-Trp CB) capable de libérer en continu du tryptophane et de l’acide butyrique, inhibant ainsi l’activité de l’IDO et reprogrammant le métabolisme des cellules T CD8+, ce qui a permis d’inhiber de manière significative la croissance tumorale. Cette recherche offre une nouvelle stratégie de biologie synthétique pour l’immunothérapie du cancer, avec une valeur scientifique et appliquée importante.

Points forts de la recherche

  1. Innovation : Cette étude est la première à modifier génétiquement Clostridium butyricum pour qu’il libère à la fois du tryptophane et de l’acide butyrique, inhibant ainsi l’activité de l’IDO et reprogrammant le métabolisme des cellules T CD8+.
  2. Efficacité : L-Trp CB a montré des effets antitumoraux significatifs dans plusieurs modèles animaux, et son utilisation combinée avec un inhibiteur de PD-L1 a produit un effet synergique.
  3. Sécurité : L-Trp CB a montré une bonne tolérance dans les modèles animaux, sans effets secondaires significatifs observés.

Perspectives futures

Bien que cette étude ait obtenu des résultats significatifs, certaines questions nécessitent une exploration plus approfondie. Par exemple, la sécurité et l’efficacité de L-Trp CB chez l’homme doivent encore être validées par des essais cliniques. De plus, l’impact de L-Trp CB sur d’autres cellules immunitaires (comme les cellules myéloïdes) doit être étudié plus en détail. À l’avenir, les chercheurs pourraient optimiser la conception de la souche bactérienne pour améliorer davantage son efficacité antitumorale et son potentiel d’application clinique.

Cette étude offre une nouvelle stratégie de biologie synthétique pour l’immunothérapie du cancer, avec des perspectives d’application prometteuses.