Dosage personnalisé périopératoire d'ivabradine en chirurgie non cardiaque : un essai pilote de faisabilité randomisé, contrôlé par placebo, en double aveugle et monocentrique
Dosage personnalisé d’ivabradine en périopératoire pour les chirurgies non cardiaques : une étude pilote de faisabilité randomisée, contrôlée par placebo, en double aveugle et monocentrique
Contexte académique
Les lésions myocardiques périopératoires (Perioperative Myocardial Injury, PMI) sont une complication fréquente après une chirurgie non cardiaque, étroitement liée à la mortalité et à la morbidité postopératoires. Des études ont montré que la fréquence cardiaque (Heart Rate, HR) est un facteur de risque indépendant de lésions myocardiques périopératoires. Bien que les bêta-bloquants aient été utilisés pour moduler la fréquence cardiaque en périopératoire afin de prévenir les complications cardiaques, leur utilisation peut entraîner des effets secondaires tels que l’hypotension et la bradycardie, en particulier lorsqu’ils sont utilisés immédiatement avant la chirurgie. Par conséquent, la recherche d’un médicament plus sûr et plus efficace pour réguler la fréquence cardiaque est devenue une priorité.
L’ivabradine est un médicament qui inhibe sélectivement les canaux If du nœud sinusal, capable de réduire la fréquence cardiaque sans affecter la contractilité myocardique ou le tonus vasculaire. Des études récentes dans des contextes de soins aigus ont montré que l’ivabradine a un effet sûr sur la modulation de la fréquence cardiaque. Cependant, les propriétés pharmacocinétiques et pharmacodynamiques de l’ivabradine en périopératoire n’ont pas été suffisamment étudiées, et sa posologie et son schéma posologique optimaux restent incertains. Par conséquent, cette étude vise à évaluer la faisabilité d’une administration personnalisée d’ivabradine en périopératoire grâce à un essai de faisabilité randomisé, en double aveugle et contrôlé par placebo, afin de fournir des bases pour de futurs essais cliniques à grande échelle.
Source de l’article
Cet article a été rédigé par Marion J. White, Isabelle Zaccaria, Florence Ennahdi-Elidrissi et d’autres chercheurs du département d’anesthésiologie, de pharmacologie, de soins intensifs et de médecine d’urgence des Hôpitaux universitaires de Genève, en Suisse. L’article a été publié le 2 juillet 2024 dans le British Journal of Anaesthesia, sous le titre Personalised perioperative dosing of ivabradine in noncardiac surgery: a single-centre, randomised, placebo-controlled, double-blind feasibility pilot trial.
Conception et méthodes de l’étude
Déroulement de l’étude
Cette étude est un essai de faisabilité monocentrique, randomisé, en double aveugle et contrôlé par placebo, visant à évaluer la faisabilité d’une administration personnalisée d’ivabradine en périopératoire. L’étude a été menée aux Hôpitaux universitaires de Genève et a inclus des patients âgés de 75 ans ou plus, ou de 45 ans ou plus présentant des facteurs de risque cardiovasculaires et programmés pour une chirurgie non cardiaque à risque intermédiaire ou élevé. Les patients ont été randomisés pour recevoir de l’ivabradine (2,5 mg, 5,0 mg ou 7,5 mg) ou un placebo deux fois par jour, du matin de la chirurgie jusqu’au deuxième jour postopératoire, en fonction de leur fréquence cardiaque.
Participants et échantillon
L’étude a inclus 78 patients, dont 39 ont reçu de l’ivabradine et 39 un placebo. Les caractéristiques de base des patients comprenaient l’âge, le sexe, l’indice de masse corporelle et les antécédents cardiovasculaires. Les principaux critères de jugement étaient le taux de dosage approprié et le taux de réussite de l’aveuglement.
Méthodes expérimentales
L’étude a utilisé un schéma posologique personnalisé, ajustant la dose d’ivabradine en fonction de la fréquence cardiaque du patient. Le schéma posologique spécifique était le suivant : - Patients avec une fréquence cardiaque ≤70 battements par minute ou ayant reçu un traitement de sauvetage pour bradycardie : administration d’un placebo (Pill A). - Patients avec une fréquence cardiaque de 71 à 85 battements par minute : administration d’ivabradine 2,5 mg ou d’un placebo (Pill B). - Patients avec une fréquence cardiaque de 86 à 100 battements par minute : administration d’ivabradine 5,0 mg ou d’un placebo (Pill C). - Patients avec une fréquence cardiaque ≥101 battements par minute : administration d’ivabradine 7,5 mg ou d’un placebo (Pill D).
Analyse des données
Les principaux critères de jugement de l’étude étaient le taux de dosage approprié et le taux de réussite de l’aveuglement. Le taux de dosage approprié était défini comme le nombre de doses correctement administrées en fonction de la fréquence cardiaque du patient par rapport au nombre total de doses administrées, et le taux de réussite de l’aveuglement était défini comme le nombre de doses administrées sans rupture de l’aveuglement par rapport au nombre total de doses administrées. L’étude a également évalué des critères de jugement secondaires, tels que l’incidence des lésions myocardiques postopératoires et l’incidence de la bradycardie.
Résultats de l’étude
Résultats principaux
L’étude a réalisé 444 administrations, dont 439 étaient appropriées, ce qui correspond à un taux de dosage approprié de 98,9 %. Le taux de réussite de l’aveuglement était de 100 %, ce qui indique que la conception en double aveugle de l’étude a été efficacement mise en œuvre. Cent trente-sept administrations (31 %) étaient des placebos, en raison d’une fréquence cardiaque ≤70 battements par minute ou d’un traitement de sauvetage pour bradycardie. L’incidence des lésions myocardiques postopératoires était de 11,5 %, et l’incidence de la bradycardie était de 9 épisodes dans le groupe ivabradine et de 8 dans le groupe placebo.
Résultats secondaires
L’étude a également révélé que la fréquence cardiaque du groupe ivabradine au deuxième jour postopératoire était significativement plus faible que celle du groupe placebo (73,5 battements par minute contre 78 battements par minute). L’incidence des lésions myocardiques postopératoires dans le groupe ivabradine était de 7,7 %, inférieure à celle du groupe placebo (15,4 %). De plus, l’étude n’a observé aucun événement indésirable grave, confirmant la sécurité de l’ivabradine.
Conclusions et implications
Cette étude a confirmé la faisabilité d’une administration personnalisée d’ivabradine en périopératoire, avec des taux de dosage approprié et de réussite de l’aveuglement atteignant les objectifs prévus. Les résultats suggèrent que l’ivabradine peut efficacement réduire la fréquence cardiaque postopératoire sans augmenter l’incidence d’effets indésirables tels que la bradycardie. Cependant, l’incidence relativement faible des lésions myocardiques postopératoires indique que de futures études devraient inclure des patients à plus haut risque pour accroître la pertinence clinique.
Valeur scientifique et applicative
Cette étude fournit des données de faisabilité importantes pour de futurs essais cliniques à grande échelle, soutenant la sécurité et l’efficacité d’une administration personnalisée d’ivabradine en périopératoire. Les résultats suggèrent que l’ivabradine pourrait devenir un médicament efficace pour prévenir les lésions myocardiques périopératoires, en particulier chez les patients à haut risque. De plus, l’étude souligne l’importance de la modulation de la fréquence cardiaque en périopératoire, offrant de nouvelles perspectives pour la pratique clinique.
Points forts de l’étude
- Schéma posologique personnalisé : L’étude a utilisé un schéma posologique personnalisé d’ivabradine, ajustant la dose en fonction de la fréquence cardiaque du patient, évitant ainsi une approche “taille unique”.
- Taux de réussite de l’aveuglement élevé : La conception en double aveugle de l’étude a été efficacement mise en œuvre, avec un taux de réussite de l’aveuglement de 100 %, garantissant la fiabilité des résultats.
- Faible incidence des lésions myocardiques postopératoires : Bien que l’incidence des lésions myocardiques postopératoires soit faible, elle était significativement plus basse dans le groupe ivabradine que dans le groupe placebo, suggérant une valeur clinique potentielle.
Autres informations utiles
L’étude souligne également que de futures recherches devraient inclure des patients à plus haut risque et optimiser le calcul de la taille de l’échantillon pour améliorer la puissance statistique de l’étude. De plus, l’étude suggère que l’utilisation d’ivabradine par voie intraveineuse dans de futurs essais pourrait résoudre les difficultés liées à l’administration orale en postopératoire.
Cette étude fournit une base scientifique importante pour le développement et l’application de médicaments modulant la fréquence cardiaque en périopératoire, avec des perspectives cliniques étendues.