Réutilisation des microarrays à grand format pour la transcriptomique spatiale évolutive

Réutilisation des microarrays grand format pour une transcriptomique spatiale évolutive : l’avènement de la technologie Array-Seq

Contexte et origine de la recherche

Ces dernières années, les analyses spatiales moléculaires (spatiomolecular analyses) sont devenues un outil clé en recherche biomédicale et en pathologie clinique, car elles permettent d’explorer comment la localisation spatiale des cellules et molécules dans les tissus influence leurs fonctions, ainsi que leurs dysfonctionnements en conditions normales et pathologiques. Cependant, les méthodes existantes de transcriptomique spatiale (spatial transcriptomics, ST) sont limitées par plusieurs facteurs : équipements coûteux, complexité d’utilisation, petite surface analysée, incompatibilité avec le traitement d’un grand nombre d’échantillons, et absence de compatibilité avec des techniques histologiques standard (comme la coloration H&E). Ces contraintes limitent leur adoption à grande échelle et augmentent les coûts et la difficulté d’utilisation, autant dans la recherche fondamentale que dans les applications cliniques.

Les premières technologies de transcriptomique spatiale (comme la plateforme Visium) ont permis le séquençage du transcriptome dans des régions spécifiques de tissus grâce à des sondes oligonucléotidiques attachées à des codes-barres spatiaux (spatial barcodes) capturant les queues poly-A des ARN. Cependant, la petite taille des surfaces utilisables et les coûts élevés de ces approches restent des obstacles majeurs à leur adoption généralisée. Par ailleurs, les microarrays oligonucléotidiques classiques, bien connus pour leur rôle historique dans les analyses de l’expression génétique à haut débit au début du XXIᵉ siècle, ont été largement abandonnés depuis l’émergence des nouvelles technologies de séquençage. L’équipe de recherche à l’origine de cet article s’est donc questionnée sur la réutilisation potentielle de cette technologie classique pour créer une plateforme de transcriptomique spatiale plus efficace et économique. À partir de cette idée, la technologie innovante Array-Seq a vu le jour.

Origine de l’article et équipe de recherche

Cet article, intitulé « Repurposing large-format microarrays for scalable spatial transcriptomics », est le fruit du travail de Denis Cipurko, Tatsuki Ueda, Linghan Mei et Nicolas Chevrier. Les recherches ont été principalement réalisées à la Pritzker School of Molecular Engineering de l’Université de Chicago, aux États-Unis. L’article a été publié en novembre 2024 dans la revue Nature Methods, avec le DOI suivant : https://doi.org/10.1038/s41592-024-02501-5.

Conception expérimentale et déroulement de l’étude

Dans cet article, l’équipe propose la technologie Array-Seq, qui transforme des microarrays oligonucléotidiques classiques en une plateforme à haut débit pour la transcriptomique spatiale. Cette recherche peut être divisée en plusieurs étapes clés.

1. Construction des sondes de capture à codes-barres spatiaux via microarrays

Les chercheurs ont conçu des microarrays oligonucléotidiques sur mesure, chaque point du microarray portant une séquence de code-barres spatial unique (spatial barcode) et deux séquences d’ancrage communes (anchors) nécessaires à la localisation spatiale et aux processus ultérieurs. Ces codes-barres ont été synthétisés in situ sur les lames en verre via une méthode de jet d’encre basée sur la chimie phosphoramidite. Chaque microarray comprend 974 016 points, où chaque point a un diamètre de 30 µm avec un espace de 36,65 µm entre leurs centres. La surface totale atteint 11,31 cm².

Ensuite, l’équipe a assemblé les sondes de capture d’ARNm sur les microarrays en deux étapes. Premièrement, des oligonucléotides complémentaires aux séquences d’ancrage sur les microarrays ont été hybridés. Deuxièmement, une réaction de remplissage d’espace utilisant une ADN polymérase (comme la Phusion DNA polymérase) et une ligase ADN T4 a été menée pour synthétiser et connecter les sondes complètes. Enfin, un lavage à haute température a permis d’éliminer les sondes mal assemblées pour garantir une pureté supérieure à 75 %.

2. Traitement des échantillons et analyses transcriptomiques spatiales

Les chercheurs ont utilisé la plateforme Array-Seq pour analyser les données transcriptomiques spatiales 2D et 3D dans des tissus de souris et d’humains. Les sections tissulaires ont d’abord été fixées avec du méthanol prérefroidi, puis colorées avec la méthode H&E (hématoxyline-éosine) pour confirmer les caractéristiques histologiques. L’ARNm présent dans les tissus a été capturé à l’aide des sondes, puis converti en ADNc via transcription inverse. Chaque molécule d’ARNm a ensuite été associée à son code-barres spatial et à un identifiant moléculaire unique (UMI).

Ces ADNc ont été séquencés sur des plateformes Illumina, et les données obtenues ont été analysées avec des outils comme STARsolo et Scanpy pour générer des matrices d’expression génique spatiale. Ces matrices ont ensuite permis la classification cellulaire, la délimitation régionale dans les tissus, et l’analyse des schémas d’expression génique.

3. Vérification des résultats et comparaison des plateformes

Les performances de la technologie Array-Seq ont été comparées à celles de Visium à l’aide de tissus comme le bulbe olfactif principal (MOB) de souris, le rein ou encore la moelle osseuse. Les expériences ont produit les résultats suivants :

  1. Haute sensibilité et haute résolution : Dans le MOB de souris, Array-Seq a détecté en moyenne 3 582 UMI et 1 971 gènes par point, reproduisant fidèlement les caractéristiques histologiques connues.
  2. Flexibilité d’échantillonnage : Une lame Array-Seq peut capturer entre 2 et 20 millions de cellules selon le type de tissu et le nombre de sections analysées.
  3. Capacité d’analyse 3D : L’étude a reconstruit des images 3D de la région corticale du rein de souris, mettant en évidence les variations spatiales en fonction de la profondeur tissulaire.
  4. Comparaison inter-plateformes : Par rapport à Visium, Array-Seq offre une densité de points 8,1 fois supérieure, un nombre total de points multiplié par 216,8 et une surface 26,7 fois plus grande. Sur le plan de la sensibilité et de la localisation des marqueurs génétiques, Array-Seq a donné des résultats comparables.

4. Applications étendues : multi-échantillons et tissus humains entiers

L’équipe a utilisé Array-Seq pour analyser des sections multi-tissulaires sur une même lame ainsi que des tissus entiers humains. Par exemple, une section longitudinale du rein humain couvrant ~12 cm² a permis de profiler 750 640 points et de détecter l’expression et la distribution de marqueurs spécifiques aux cellules immunitaires (comme CXCL13 et son récepteur CXCR5) dans des zones telles que la pulpe blanche et la pulpe rouge.

Conclusion et importance de l’étude

La plateforme Array-Seq, combinant les avantages des microarrays classiques et du séquençage nouvelle génération, surmonte les limitations majeures des méthodes de transcriptomique spatiale existantes. Ses principaux avantages incluent :

  1. Efficacité évolutive : Array-Seq prend en charge de larges surfaces échantillonnées à coûts très réduits (~20 fois moins que Visium, soit 314 à 628 dollars par cm²).
  2. Facilité d’utilisation : Compatible avec les équipements standard de laboratoire et la préparation histologique classique.
  3. Valeur scientifique et applicative : Capable de recueillir des données à haute résolution pour explorer la structure complexe des tissus, ouvrant de nouvelles perspectives pour la recherche fondamentale et clinique.
  4. Technologie révolutionnaire : En réutilisant les microarrays, Array-Seq démocratise les études transcriptomiques spatiales, les rendant accessibles à davantage de laboratoires.

Points forts et perspectives futures

Parmi les points forts de cette étude, notons : - L’approche innovante consistant à recycler des technologies classiques dans des applications de pointe ; - La capacité du système Array-Seq à analyser des échantillons variés ainsi qu’à relever des défis 3D avec une résolution accrue ; - Sa performance équivalente à celles des plateformes commerciales combinée à des coûts drastiquement réduits, rendant possible des études de grande ampleur.

Cependant, Array-Seq présente encore quelques limitations, comme sa résolution actuelle (diamètre des points de 30 µm) ou l’incompatibilité avec des tissus fixés en paraffine. Les chercheurs envisagent des optimisations futures, comme réduire la taille des points, améliorer la compatibilité avec divers types de prélèvements histologiques et introduire des analyses multimodales (intégrant transcriptomique et protéomique). Avec l’automatisation de ces processus, cette technologie promet de révolutionner la transcriptomique spatiale pour des échantillons allant d’organismes entiers à des cohortes de patients.

À l’avenir, la plateforme Array-Seq pourrait jouer un rôle clé dans les domaines de la biologie fondamentale et des applications médicales, en offrant une analyse spatiale précise et abordable pour soutenir la médecine de précision et la pathologie moléculaire.