Évaluer la contribution de l'exposome chimique aux maladies neurodégénératives

Voici la traduction en français du rapport sur l’évaluation des risques d’exposition chimique pour les maladies neurodégénératives :

Risques d’exposition chimique pour les maladies neurodégénératives

Évaluation des risques d’exposition chimique pour les maladies neurodégénératives

Introduction

Ces dernières années, de nombreux produits chimiques environnementaux, des solvants aux pesticides, ont été liés au développement et à la progression des maladies neurodégénératives. Cependant, il manque encore à ce jour une approche systématique similaire aux études d’association pangénomique, qui ont identifié des dizaines de gènes associés à la maladie d’Alzheimer, à la maladie de Parkinson et à d’autres troubles neurodégénératifs. Heureusement, il est désormais possible d’étudier des centaines, voire des milliers de caractéristiques chimiques dans un cadre d’exposome. Cette approche émergente, rendue possible par les progrès de la spectrométrie de masse, peut générer des données d’exposome complémentaires aux données génomiques, permettant une meilleure compréhension des maladies neurodégénératives.

Avec l’allongement de l’espérance de vie, les maladies neurodégénératives liées à l’âge sont devenues une cause majeure d’invalidité et de mortalité. Les deux troubles les plus courants, la maladie d’Alzheimer (MA) et la maladie de Parkinson (MP), touchent respectivement plus de 45 millions et 6 millions de personnes dans le monde. Bien que leur présentation clinique diffère, ces maladies partagent des mécanismes pathologiques communs, notamment l’agrégation de protéines mal repliées, l’interruption des systèmes de dégradation des protéines, le dysfonctionnement mitochondrial, l’augmentation de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique (BHE) et l’inflammation neuronale. Ces processus conduisent finalement à la mort des neurones.

Bien que ces troubles présentent des processus pathologiques similaires, aucune cause commune autre que l’âge n’a été identifiée à ce jour. La MA et la MP (dans la grande majorité de leurs cas sporadiques) sont des maladies multifactorielles résultant d’une combinaison de facteurs de risque génétiques et environnementaux. Les multiples loci de susceptibilité identifiés sont spécifiques à chaque maladie et n’expliquent qu’une fraction des cas. Par conséquent, il est essentiel d’explorer les liens entre l’exposition environnementale et les maladies neurodégénératives.

Source de l’article

Cet article a été rédigé par les auteurs suivants : S. Lefèvre-Arbogast (Université de Bordeaux), J. Chaker (Université de Rennes), F. Mercier (Université de Rennes), R. Barouki (Université Paris Cité), X. Coumoul (Université Paris Cité), G.W. Miller (Université Columbia), A. David (Université de Rennes) et C. Samieri (Université de Bordeaux).

L’article a été publié dans le volume 27 de la revue Nature Neuroscience en mai 2024.

Contenu et résultats de la recherche

Preuves épidémiologiques liant exposition chimique et maladies neurodégénératives

La plupart des études se sont concentrées sur les pesticides, les métaux, les solvants et les particules fines (PM2,5). Les preuves les plus cohérentes concernent l’exposition professionnelle aux pesticides, associée à un risque accru de MP, puis de MA. Certaines études de biomarqueurs ont également lié l’exposition à de faibles niveaux à un risque accru de ces maladies. Les preuves pour les métaux, les solvants et les PM2,5 sont plus faibles et incohérentes. Quant aux additifs synthétiques (comme les retardateurs de flamme, les composés plastiques, etc.), il n’existe pratiquement aucune preuve épidémiologique.

Impacts de la toxicité chimique sur les mécanismes liés aux maladies neurodégénératives

De nombreuses études expérimentales montrent que diverses substances chimiques affectent de multiples voies moléculaires impliquées dans les maladies neurodégénératives, comme le stress oxydatif, le dysfonctionnement mitochondrial, les perturbations des neurotransmetteurs, l’agrégation de protéines mal repliées, l’inflammation neuronale, les changements de perméabilité de la BHE. Les métaux, les pesticides, les solvants organiques et les polluants de combustion sont les plus étudiés, contrairement aux nouveaux insecticides et additifs synthétiques.

Lacunes et défis de la recherche

  1. Intégrer les voies d’exposition, élargir la liste des produits chimiques d’intérêt Les études existantes ignorent de nombreuses expositions chimiques émergentes, comme les nouveaux insecticides, les retardateurs de flamme, les composés perfluorés, les plastifiants, etc., qui pourraient avoir des effets neurotoxiques. De plus, les impacts des microplastiques et des nanomatériaux sur le système nerveux sont peu étudiés.

  2. Défis de l’extrapolation des modèles animaux à la santé humaine Les modèles animaux utilisent souvent des modes d’administration non réalistes et tiennent rarement compte de la toxicité des métabolites ; les modèles cellulaires ou tissulaires peinent aussi à refléter les modes d’exposition réels.

  3. Améliorer les méthodes prédictives de neurotoxicité Les données toxicocinétiques sur la cinétique, la dynamique et le métabolisme des produits chimiques dans l’organisme sont limitées, rendant difficile la prédiction des risques de passage dans le cerveau et d’effets néfastes.

  4. Clarifier les effets des expositions mixtes La plupart des études se concentrent sur des substances uniques, ignorant les effets additifs ou synergiques potentiels des mélanges chimiques complexes dans l’environnement.

Cartographier l’exposome endogène par des méthodes moléculaires à haut débit

Le concept d’exposome intègre les expositions environnementales et les réponses biologiques dans un même cadre. Le développement de la spectrométrie de masse haute résolution (HRMS) permet de mesurer simultanément des milliers de produits chimiques exogènes et leurs métabolites dans des échantillons biologiques, offrant des opportunités sans précédent pour explorer les liens entre l’exposome chimique et les maladies neurodégénératives.

La HRMS présente certains défis techniques, comme des capacités de détection et une couverture de l’espace chimique limitées, ainsi qu’un processus d’annotation complexe, mais représente globalement une approche innovante prometteuse. Quelques études HRMS préliminaires ont déjà identifié des composés chimiques associés à la MA et à la MP, jetant les bases de futures études épidémiologiques à grande échelle.

Conclusion

L’exposition chimique pourrait être un important facteur de risque environnemental des maladies neurodégénératives, mais les recherches actuelles présentent des lacunes évidentes. Le développement de nouvelles approches comme la HRMS pourrait permettre de surmonter ces obstacles, en permettant une évaluation systématique de l’ensemble de l’exposome chimique et de clarifier ses liens avec les troubles neurodégénératifs. Une collaboration étroite entre la génétique, l’environnement et la biologie sera nécessaire à l’avenir pour appréhender cette interface complexe et multidisciplinaire.

Mots-clés : exposome chimique, exposomique, maladies neurodégénératives, spectrométrie de masse haute résolution (HRMS), maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson