Altérations du volume et de la connectivité fonctionnelle au repos détectées par IRM cérébrale chez les personnes souffrant de troubles liés à l'utilisation d'opioïdes

Étude d’imagerie multimodale sur les altérations structurelles et fonctionnelles du cerveau chez les patients atteints de trouble de l’usage d’opioïdes

Contexte académique

Le trouble de l’usage d’opioïdes (Opioid Use Disorder, OUD) est une maladie chronique complexe qui a un impact multidimensionnel sur la vie des individus et est étroitement lié à un risque accru de mortalité. En 2021, plus de 80 000 décès par surdose d’opioïdes ont été enregistrés aux États-Unis. Bien que les médicaments de traitement de l’OUD (comme la méthadone) puissent réduire la mortalité et améliorer la qualité de vie, les mécanismes d’action de ces médicaments et des opioïdes au niveau des réseaux neuronaux à grande échelle restent largement méconnus.

Ces dernières années, les études d’imagerie structurelle et fonctionnelle ont commencé à révéler les mécanismes neuronaux associés à l’OUD. Les études d’IRM structurelle ont montré des altérations dans les zones de récompense, de cognition et de traitement émotionnel du cerveau (comme le striatum, le cortex préfrontal, l’insula et l’amygdale) chez les patients atteints d’OUD. Les études d’IRM fonctionnelle (IRMf) ont quant à elles indiqué que l’OUD implique des modifications systémiques des réseaux du mode par défaut, de saillance et fronto-pariétal. Cependant, les études précédentes présentaient des limites telles que de petits échantillons, un faible nombre de participantes féminines et des analyses unimodales, ce qui a conduit à des résultats incohérents.

Par conséquent, cette étude vise à identifier les altérations structurelles et fonctionnelles du cerveau chez les patients atteints d’OUD en utilisant des méthodes d’analyse de données à l’échelle du cerveau entier, basées sur l’IRM pondérée en T1 et l’IRMf au repos, afin de combler cette lacune dans les connaissances.

Source de l’article

Cette étude a été dirigée par Saloni Mehta de la Yale School of Medicine, avec la participation de chercheurs de plusieurs institutions, notamment Vanderbilt University, Roger Williams Medical Center et Brigham and Women’s Hospital. L’article a été publié en décembre 2024 dans la revue Radiology, sous le titre Alterations in Volume and Intrinsic Resting-State Functional Connectivity Detected at Brain MRI in Individuals with Opioid Use Disorder.

Processus et résultats de la recherche

Processus de recherche

Cette étude est une analyse secondaire de l’étude Collaboration Linking Opioid Use Disorder and Sleep (CLOUDS). Elle compare les différences structurelles et fonctionnelles du cerveau entre des patients atteints d’OUD sous traitement à la méthadone et un groupe témoin sain. Le processus de recherche comprend les étapes suivantes :

  1. Recrutement des participants : Les patients atteints d’OUD ont été recrutés dans une seule clinique, âgés de 18 ans ou plus, répondant aux critères de diagnostic de l’OUD selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) et stabilisés sous méthadone au cours des 24 semaines précédentes. Le groupe témoin sain provenait d’une autre étude transdiagnostique, sans diagnostic connu de troubles neurologiques ou de santé mentale.

  2. Acquisition des images cérébrales : Tous les participants ont subi une IRM cérébrale non contrastée sur trois scanners 3T, comprenant une imagerie tridimensionnelle pondérée en T1 et une IRMf au repos de 6 minutes.

  3. Analyse des données :

    • Analyse structurelle : La morphométrie basée sur les tenseurs (Tensor-Based Morphometry, TBM) a été utilisée pour analyser les données d’IRM pondérée en T1, quantifiant les changements de volume cérébral local.
    • Analyse fonctionnelle : La distribution de connectivité intrinsèque (Intrinsic Connectivity Distribution, ICD) a été utilisée pour analyser les données d’IRMf au repos, évaluant la connectivité fonctionnelle de chaque voxel.
    • Analyse statistique : Un modèle de régression linéaire voxel-wise a été utilisé pour évaluer les différences entre les groupes, avec correction pour les erreurs multiples.

Résultats principaux

  1. Différences structurelles :

    • Les patients atteints d’OUD présentaient des volumes significativement plus petits dans le thalamus bilatéral (β = -17,42), le noyau caudé droit et le cortex orbitofrontal (β = -11,32), ainsi que dans le lobe temporal médian droit (β = -8,02) par rapport au groupe témoin.
    • Les volumes étaient significativement plus grands dans le tronc cérébral (β = 15,21), le mésencéphale (β = 13,04), le cervelet (droit β = 14,96, gauche β = 14,88) et l’insula gauche (β = 10,73) chez les patients atteints d’OUD.
    • Dans le groupe OUD, les volumes du cortex préfrontal médian droit étaient significativement plus grands chez les femmes que chez les hommes, tandis que c’était l’inverse dans le groupe témoin.
  2. Différences fonctionnelles :

    • Une connectivité fonctionnelle accrue a été observée dans le thalamus gauche (β = 0,50), le lobe temporal médian droit (β = 0,43), le cervelet droit (β = 0,46) et le tronc cérébral (β = 0,48) chez les patients atteints d’OUD.
    • Aucune réduction de la connectivité fonctionnelle ou d’interaction entre le sexe et le groupe n’a été observée.
  3. Corrélation structure-fonction :

    • Les altérations structurelles et fonctionnelles étaient positivement corrélées dans le cervelet (r = 0,32) et le tronc cérébral (r = 0,23), mais aucune corrélation significative n’a été trouvée dans le thalamus et le lobe temporal médian.

Conclusion et signification

Cette étude a révélé des altérations structurelles et fonctionnelles chevauchantes dans les régions cérébrales denses en récepteurs aux opioïdes (comme le thalamus, le lobe temporal médian, le cervelet et le tronc cérébral) chez les patients atteints d’OUD. Ces résultats sont cohérents avec les études précédentes et ouvrent de nouvelles perspectives pour la recherche sur les mécanismes neuronaux de l’usage et de l’abus d’opioïdes.

Valeur scientifique et applicative

  1. Valeur scientifique : Cette étude, en utilisant des méthodes d’imagerie multimodale, a mis en lumière les altérations structurelles et fonctionnelles étendues du cerveau chez les patients atteints d’OUD, en particulier dans les régions denses en récepteurs aux opioïdes. Cela fournit des indices importants pour comprendre les mécanismes neuronaux de l’OUD.
  2. Valeur applicative : Les résultats offrent des biomarqueurs potentiels pour le diagnostic et le traitement de l’OUD, en particulier les altérations structurelles et fonctionnelles du cervelet et du tronc cérébral, qui pourraient devenir des cibles d’intervention futures.

Points forts de la recherche

  1. Découverte importante : Les patients atteints d’OUD présentent des altérations structurelles et fonctionnelles significatives dans le thalamus, le lobe temporal médian, le cervelet et le tronc cérébral, ces changements étant particulièrement marqués chez les femmes.
  2. Innovation méthodologique : Cette étude a utilisé des méthodes d’analyse de données à l’échelle du cerveau entier, évitant les limitations des hypothèses précédentes et permettant une compréhension plus complète des mécanismes de l’OUD.
  3. Caractéristiques de l’échantillon : La proportion élevée de participantes féminines dans l’échantillon améliore la généralisabilité des résultats.

Autres informations utiles

Les limites de cette étude incluent le fait que les patients atteints d’OUD pouvaient également consommer d’autres substances, et que tous les patients étaient sous traitement à la méthadone. Les études futures devront valider ces résultats dans d’autres échantillons d’OUD. De plus, des études longitudinales et des modèles animaux aideront à clarifier les relations de causalité de ces altérations.

Cette étude fournit des preuves importantes pour comprendre les mécanismes neuronaux de l’OUD et jette les bases pour les recherches futures sur le diagnostic et le traitement.