Cartographie des réseaux génétiques in silico du gène suppresseur de tumeur KMT2D pour découvrir de nouvelles associations fonctionnelles et vulnérabilités des cellules cancéreuses

Contexte académique et problématique

Les mutations de perte de fonction (Loss-of-Function, LOF) des gènes suppresseurs de tumeurs (Tumour Suppressor Genes, TSGs) sont extrêmement fréquentes dans les cancers. Cependant, ces mutations entraînent une perte ou une déficience de la fonction des protéines codées, ce qui rend difficile leur ciblage thérapeutique traditionnel. Par conséquent, des approches novatrices sont nécessaires pour révéler les vulnérabilités cellulaires induites par ces mutations et pour identifier de nouveaux cibles thérapeutiques potentielles. KMT2D est un gène suppresseur de tumeur souvent muté dans divers types de cancers, et les mutations de perte de fonction de ce gène sont associées à la tumorigénèse. Cependant, les réseaux fonctionnels de KMT2D ainsi que sa contribution aux vulnérabilités des cellules cancéreuses restent en grande partie inexplorés.

Cette étude vise à cartographier les réseaux génétiques de KMT2D par des méthodes computationnelles afin d’exposer de nouvelles associations fonctionnelles et des vulnérabilités des cellules cancéreuses. En particulier, l’approche met en lumière les interactions létales synthétiques (Synthetic Lethality, SL), une stratégie où la perte simultanée de deux gènes entraîne la mort cellulaire alors que la perte d’un seul gène est non létale. Cette recherche permet d’identifier des vulnérabilités spécifiques associées aux mutations LOF de KMT2D, offrant ainsi de nouvelles perspectives thérapeutiques.

Origine de l’article et informations des auteurs

Cet article, rédigé par Yuka Takemon et al., est le fruit de collaborations entre plusieurs institutions, notamment le BC Cancer Research Centre et le Genome Sciences Centre au Canada. Publié en 2024 dans Genome Medicine sous le titre Mapping in silico genetic networks of the KMT2D tumour suppressor gene to uncover novel functional associations and cancer cell vulnerabilities.

Méthodologies et protocoles de recherche

1. Création des lignées cellulaires knock-out de KMT2D

Les auteurs ont créé des lignées cellulaires humaines HEK293A knock-out pour KMT2D (nommées KMT2DKO) en utilisant des nucléases à doigts de zinc (Zinc Finger Nucleases, ZFNs). Le ciblage s’est fait spécifiquement sur l’exon 39 du gène, et le knock-out a été confirmé par immunoblot et séquençage.

2. Analyse par ChIP-MS (Chromatin Immunoprecipitation suivi de spectrométrie de masse)

Pour explorer les réseaux d’interactions protéiques de KMT2D, une analyse par ChIP-MS a été réalisée. En utilisant la méthode de marquage SILAC (Stable Isotope Labeling by Amino acids in Cell Culture), les interactions protéiques ont été comparées entre des cellules KMT2D sauvages et knock-out. Un total de 532 protéines candidates interagissant avec KMT2D a été identifié.

3. Cartographie des réseaux génétiques par méthodes in silico

L’équipe a utilisé l’outil GRETTA développé par les chercheurs, exploitant les données du Cancer Dependency Map (DepMap) produites par des cribles CRISPR-Cas9 à grande échelle. En analysant les effets des knock-out de 18 333 gènes dans 739 lignées cellulaires cancéreuses, les chercheurs ont identifié des interactions létales synthétiques (SL) et des interactions de létalité atténuée (AL).

4. Classement des gènes candidats et priorisation des cibles

Les candidats ont été sélectionnés et classés en utilisant des critères statistiques et en fonction de leur “tractabilité thérapeutique”. Les auteurs ont identifié des cibles pertinentes, y compris MDM2, TUB1B, NDUFB5 et WRN, ayant un réel potentiel clinique.

Résultats clés

1. Réseaux génétiques de KMT2D : associations avec la modification des histones, le métabolisme et la réponse immunitaire

Les analyses révèlent des interactions significatives entre les mutations LOF de KMT2D et des gènes impliqués dans la modification des histones, les voies métaboliques et la réponse immunitaire. WRN a été identifié comme un interacteur létal synthétique, distinguant explicitement les lignées cellulaires instables au niveau des microsatellites (MSI) sensibles ou insensibles aux inhibiteurs de WRN.

2. Réseau d’interactions protéiques de KMT2D : implication dans la réplication et la réparation de l’ADN

L’étude ChIP-MS a montré que le réseau protéique de KMT2D est enrichi pour des fonctions associées à la réplication de l’ADN et à la réparation. Ainsi, KMT2D serait impliqué dans la stabilité génomique en plus de son rôle canonique dans la modification des histones.

3. Identification et validation des cibles létales synthétiques

Les candidats comme MDM2, TUB1B, NDUFB5 et WRN ont été identifiés comme des cibles pertinentes, pour lesquelles des molécules thérapeutiques existent déjà ou sont en cours de développement. WRN, en particulier, se démarque comme cible potentielle pour traiter les cancers MSI.

Conclusions et significations

Grâce à leurs approches computationnelles combinées à l’expérimentation, les auteurs démontrent que les mutations LOF de KMT2D engendrent des vulnérabilités exploitables, identifiant plusieurs cibles thérapeutiques potentielles. Ces travaux offrent une base théorique solide pour développer de nouveaux traitements contre les cancers porteurs de mutations KMT2D.

Points saillants de la recherche

  1. Innovation méthodologique : L’association de simulations computationnelles et de validations expérimentales a permis de cartographier systématiquement le réseau génétique de KMT2D.
  2. Découverte de cibles thérapeutiques : L’identification de WRN comme cible létale synthétique offre une opportunité majeure pour les cancers MSI.
  3. Applications cliniques : Les conclusions de cette étude fournissent des perspectives prometteuses pour une médecine de précision ciblant spécifiquement les mutations LOF de gènes suppresseurs de tumeur.

Résumé

Cette analyse in silico, combinée aux validations biologiques, met en lumière de nouvelles vulnérabilités induites par les mutations LOF de KMT2D. Les cibles identifiées, notamment WRN, pourraient transformer la prise en charge des cancers MSI et des tumeurs caractérisées par des mutations dans KMT2D. Ces travaux représentent une avancée importante dans la compréhension des implications fonctionnelles des gènes suppresseurs de tumeurs.