La génomique révèle des insights biologiques et phénotypiques sur le trouble bipolaire

Étude génomique sur le trouble bipolaire

Contexte

Le trouble bipolaire (Bipolar Disorder, BD) est une maladie mentale grave qui contribue de manière significative au fardeau mondial des maladies. Bien que l’héritabilité du trouble bipolaire soit estimée entre 60 et 80 %, une grande partie de ses bases génétiques reste inconnue. Les recherches précédentes se sont principalement concentrées sur les populations d’origine européenne, avec peu d’exploration approfondie d’autres groupes ethniques. De plus, l’hétérogénéité du trouble bipolaire (comme les types I et II) et les différences dans les sources des patients (cliniques, communautaires, auto-déclarées) pourraient entraîner des variations dans l’architecture génétique. Ces questions ont incité les chercheurs à mener la plus grande étude d’association pangénomique (GWAS) multi-ethnique à ce jour, visant à révéler l’architecture génétique et les bases biologiques du trouble bipolaire.

Source de l’article

Cet article a été rédigé par Kevin S. O’Connell et d’autres scientifiques de plusieurs institutions de recherche mondiales, avec des auteurs principaux issus d’établissements renommés tels que l’Hôpital universitaire d’Oslo, l’University College London et l’Université de Californie à Los Angeles. L’article a été publié en 2024 dans la revue Nature, sous le titre Genomics yields biological and phenotypic insights into bipolar disorder.

Méthodologie et résultats

1. Conception de l’étude et collecte des échantillons

L’équipe de recherche a réalisé une méta-analyse GWAS multi-ethnique sur 158 036 patients atteints de trouble bipolaire et 2 796 499 témoins, provenant de populations européennes, est-asiatiques, afro-américaines et latino-américaines. Les données provenaient de sources cliniques, communautaires et auto-déclarées. L’étude a suivi les étapes suivantes :

  • Classification des échantillons : Les échantillons ont été classés en fonction de la source des patients (clinique, communautaire, auto-déclarée) et du sous-type de trouble bipolaire (type I, type II).
  • Analyse GWAS : Une analyse GWAS a été réalisée séparément pour chaque groupe ethnique, suivie d’une méta-analyse multi-ethnique.
  • Cartographie fine et cartographie des gènes : Des méthodes de cartographie fine (fine-mapping) et d’autres approches de cartographie génique ont été utilisées pour identifier les gènes associés au trouble bipolaire.
  • Analyse de corrélation génétique : Les corrélations génétiques entre le trouble bipolaire et d’autres troubles mentaux ont été calculées.
  • Analyse des scores de risque polygénique (PRS) : La contribution des données multi-ethniques à la prédiction du risque de trouble bipolaire a été évaluée.

2. Résultats principaux

a) Découverte de loci génomiques significatifs

Dans la méta-analyse multi-ethnique, l’équipe a identifié 337 variants génomiques indépendants en déséquilibre de liaison, mappés sur 298 loci. Cette découverte représente une augmentation par quatre par rapport aux études précédentes. Parmi ceux-ci, 267 loci sont nouveaux. Une association spécifique à l’ethnie est-asiatique a également été découverte (rs117130410).

b) Différences dans l’architecture génétique

L’étude a révélé des différences significatives dans l’architecture génétique selon la source des échantillons (clinique, communautaire, auto-déclarée) et le sous-type de trouble bipolaire (type I, type II). Par exemple, l’héritabilité du trouble bipolaire dans les échantillons cliniques (SNP-h2 = 0,22) était plus élevée que dans les échantillons communautaires (SNP-h2 = 0,05) et auto-déclarés (SNP-h2 = 0,08). De plus, la corrélation génétique entre le trouble bipolaire de type I et de type II était de 0,88, indiquant un chevauchement génétique important mais avec des différences persistantes.

c) Analyse d’enrichissement des fonctions géniques et des types cellulaires

Grâce à l’analyse d’enrichissement des ensembles de gènes, les chercheurs ont identifié des ensembles de gènes significativement enrichis liés à la fonction synaptique et à l’activité des facteurs de transcription. L’analyse des données de séquençage d’ARN monocellulaire a montré que les interneurones GABAergiques du cortex préfrontal et de l’hippocampe, ainsi que les neurones pyramidaux de l’hippocampe, jouent un rôle clé dans la physiopathologie du trouble bipolaire. De plus, les chercheurs ont identifié un rôle potentiel des cellules endocrines intestinales et des cellules delta du pancréas dans le trouble bipolaire.

d) Analyse des scores de risque polygénique (PRS)

L’analyse PRS multi-ethnique a montré que les GWAS multi-ethniques excluant les données auto-déclarées étaient plus performantes pour prédire le risque de trouble bipolaire. En particulier, dans les cohortes cibles est-asiatiques, les PRS multi-ethniques surpassaient significativement les PRS basées uniquement sur les données européennes.

3. Conclusions et implications

Cette étude, grâce à une GWAS multi-ethnique à grande échelle, a révélé l’architecture génétique complexe du trouble bipolaire et identifié 298 loci génomiques associés à la maladie. Non seulement elle élargit notre compréhension des bases génétiques du trouble bipolaire, mais elle ouvre également de nouvelles perspectives pour la médecine de précision et le développement de médicaments. En particulier, l’étude met en lumière le rôle potentiel des interneurones GABAergiques, des neurones pyramidaux de l’hippocampe et des cellules endocrines intestinales dans le trouble bipolaire, offrant de nouvelles perspectives sur les mécanismes biologiques de la maladie.

Points forts de l’étude

  1. Échantillons multi-ethniques à grande échelle : L’étude inclut des échantillons européens, est-asiatiques, afro-américains et latino-américains, améliorant considérablement la diversité et la représentativité des recherches génétiques sur le trouble bipolaire.
  2. Nouveaux loci génomiques découverts : Identification de 267 nouveaux loci associés au trouble bipolaire, élargissant considérablement la carte génétique de la maladie.
  3. Hétérogénéité de l’architecture génétique : Mise en évidence des différences dans l’architecture génétique selon la source des échantillons et les sous-types de trouble bipolaire, fournissant une base pour des études spécifiques aux sous-types.
  4. Analyse d’enrichissement des types cellulaires : Grâce aux données de séquençage d’ARN monocellulaire, identification du rôle clé des interneurones GABAergiques et des neurones pyramidaux de l’hippocampe dans le trouble bipolaire.
  5. Amélioration des PRS multi-ethniques : Les données multi-ethniques ont significativement amélioré la précision de la prédiction du risque de trouble bipolaire, en particulier dans les populations est-asiatiques.

Autres informations pertinentes

L’étude a également révélé que les signaux génétiques du trouble bipolaire chevauchent significativement ceux d’autres troubles mentaux tels que la schizophrénie et la dépression, suggérant que ces maladies pourraient partager certains facteurs de risque génétiques. De plus, les chercheurs ont identifié, grâce à l’analyse des cibles médicamenteuses, un rôle potentiel des médicaments anticonvulsivants comme la prégabaline et des antipsychotiques dans le traitement du trouble bipolaire.

Conclusion

Cette étude, grâce à une GWAS multi-ethnique à grande échelle et à des analyses fonctionnelles approfondies, fournit des insights précieux sur les mécanismes génétiques et biologiques du trouble bipolaire. Non seulement elle élargit notre compréhension des bases génétiques de la maladie, mais elle ouvre également de nouvelles voies pour la médecine de précision et le développement de médicaments. En particulier, l’étude souligne l’importance des données multi-ethniques dans la recherche génétique, offrant une ressource précieuse pour les études mondiales sur le trouble bipolaire.