Une approche novatrice basée sur l'information mutuelle pour la caractérisation neurophysiologique du sentiment de présence en réalité virtuelle

Le sentiment de présence en réalité virtuelle : exploration et validation des marqueurs neurophysiologiques

Introduction contextuelle

Ces dernières années, la technologie de la réalité virtuelle (Virtual Reality, VR) a été largement utilisée dans les domaines médicaux, de la formation et de la réhabilitation. Le cœur de la VR réside dans le “sentiment de présence” (Sense of Presence), c’est-à-dire l’expérience d’“être là” que ressentent les utilisateurs dans un environnement virtuel. Cependant, l’évaluation actuelle du sentiment de présence repose principalement sur des questionnaires subjectifs, tels que l’ITC-SOPI (ITC-Sense of Presence Inventory) et le questionnaire SUS (Slater-Usoh-Steed). Ces méthodes présentent des biais subjectifs et ont du mal à capturer les réponses inconscientes des utilisateurs. Par conséquent, le développement d’une méthode d’évaluation objective basée sur des signaux neurophysiologiques est devenu une nécessité urgente pour la recherche.

L’objectif de cette étude était d’identifier, à travers des signaux physiologiques multimodaux (comme l’électroencéphalogramme EEG, l’électrocardiogramme ECG et l’activité électrodermale EDA), les marqueurs neurophysiologiques liés au sentiment de présence dans les environnements VR, et de développer un indice synthétique basé sur l’information mutuelle (Mutual Information, MI), appelé SOPMI (Sense of Presence Mutual Information Index), afin de quantifier objectivement ce sentiment.

Origine de l’article

Cet article a été co-rédigé par Vincenzo Ronca, Fabio Babiloni et Pietro Aricò, issus respectivement du département d’ingénierie informatique, de contrôle et de gestion, ainsi que du département de physiologie et pharmacologie de l’université Sapienza de Rome (Italie). L’article a été publié en 2025 dans la revue IEEE Transactions on Biomedical Engineering et a bénéficié du soutien du projet PRIN 2022 PNRR “Fit2Work”.

Protocole de recherche

1. Participants et équipement expérimental

L’étude a recruté 18 volontaires masculins en bonne santé (âge moyen : 26,5 ± 3,2 ans), réalisée dans les laboratoires de l’université Sapienza de Rome. L’équipement expérimental comprenait un casque de réalité virtuelle Oculus Rift DK2 (HMD), un volant Logitech G27, un système Nexus-10 MKII (pour enregistrer l’activité électrodermale EDA) et un électroencéphalographe Galileo BePlus (pour enregistrer les signaux EEG). Le scénario expérimental consistait en une piste de course où les participants conduisaient une voiture virtuelle en perspective subjective tout en collectant des objets-cibles selon différentes conditions de tâches.

2. Conception expérimentale

Le protocole expérimental a été conçu avec deux niveaux de charge perceptive : faible et élevée, modulés par les conditions météorologiques et le nombre de cibles. Les participants ont effectué quatre types de tâches multisensorielles : visuelle seule (V), visuelle + auditive (VA), visuelle + vibrotactile (VV) et visuelle + auditive + vibrotactile (VAV). Pour chaque condition, ils ont conduit pendant 3 minutes, puis rempli le NASA Task Load Index (NASA-TLX) et un questionnaire sur le sentiment de présence.

3. Enregistrement et traitement des signaux

Les signaux EEG ont été enregistrés via 38 électrodes avec une fréquence d’échantillonnage de 256 Hz. Le prétraitement incluait un filtre coupe-bande à 50 Hz, un filtre passe-bande entre 2 et 40 Hz, ainsi qu’une analyse en composantes indépendantes (ICA) pour éliminer les artefacts oculaires et musculaires. L’activité électrodermale (EDA) a été enregistrée avec le système Nexus-10 MKII et analysée avec l’outil LEDALAB pour extraire le niveau de conductance cutanée (SCL). Les signaux ECG ont été enregistrés avec trois électrodes et traités avec l’algorithme Pan-Tompkins pour détecter les intervalles RR et calculer la variabilité de la fréquence cardiaque (HRV).

4. Analyse des données

L’étude a d’abord validé la conception expérimentale par une analyse de variance à mesures répétées (ANOVA), en examinant les scores subjectifs de charge mentale et de sentiment de présence. Ensuite, une analyse préliminaire des caractéristiques neurophysiologiques (EEG et signaux autonomes comme SOP1, SOP2, SCL, HR et HRV) a été réalisée pour identifier les marqueurs liés au sentiment de présence. Enfin, une approche multivariée basée sur l’information mutuelle (MI) a permis de développer l’indice synthétique de sentiment de présence (SOPMI), dont la sensibilité et spécificité ont été évaluées dans différentes conditions expérimentales.

Résultats principaux

1. Évaluations subjectives

L’analyse du NASA-TLX a montré que la difficulté de la tâche avait un impact significatif sur la charge mentale (p < 0,001), les conditions à faible charge étant jugées plus faciles. L’analyse des questionnaires sur le sentiment de présence a révélé que le niveau d’immersion avait un effet significatif (p < 0,001), les scores de présence sous la condition VAV étant significativement plus élevés que dans les autres conditions.

2. Évaluation neurophysiologique

Les caractéristiques EEG (SOP1 et SOP2) ont montré des différences significatives selon la difficulté de la tâche et le niveau d’immersion (p < 0,001). Le niveau de conductance cutanée (SCL) augmentait significativement dans les conditions à forte charge et immersion (p = 0,02), tandis que la fréquence cardiaque et la variabilité de la fréquence cardiaque (HRV) ne présentaient pas de différences significatives.

3. Indice de sentiment de présence basé sur l’information mutuelle (SOPMI)

L’indice SOPMI était significativement plus élevé dans la condition VAV que dans les autres conditions (p < 0,01), sans être affecté par la difficulté de la tâche. Cet indice était également positivement corrélé aux scores subjectifs de sentiment de présence (r = 0,559, p < 0,007), confirmant sa capacité à refléter objectivement l’expérience immersive des utilisateurs.

Conclusion

Cette étude a réussi à identifier les marqueurs neurophysiologiques liés au sentiment de présence dans les environnements VR et a validé de manière préliminaire l’indice de sentiment de présence basé sur l’information mutuelle (SOPMI) comme méthode d’évaluation objective. Cette approche peut capturer efficacement l’expérience immersive des utilisateurs sans être influencée par d’autres facteurs cognitifs comme la difficulté de la tâche, offrant ainsi de nouveaux outils pour la conception et l’optimisation des applications VR.

Points forts de l’étude

  1. Analyse multimodale des signaux physiologiques : Cette étude combine pour la première fois les signaux EEG, ECG et EDA grâce à une approche multivariée pour développer un indice synthétique de sentiment de présence, surmontant ainsi les limites des méthodes d’évaluation subjectives traditionnelles.
  2. Application de l’information mutuelle : La méthode basée sur l’information mutuelle permet d’extraire efficacement les modes communs entre différents signaux physiologiques, renforçant l’évaluation spécifique du sentiment de présence.
  3. Valeur pratique : Cette recherche fournit une base théorique pour les applications VR dans les domaines médicaux, de la formation et de l’industrie 5.0, contribuant à des expériences VR plus immersives et centrées sur l’utilisateur.

Autres informations pertinentes

L’étude souligne également certaines limites du protocole expérimental actuel, telles que la simplicité des scénarios et l’inadaptation des systèmes EEG haute densité pour des applications extensibles. Les recherches futures pourraient valider davantage l’indice SOPMI dans des environnements VR plus diversifiés et dynamiques, et explorer son potentiel d’utilisation dans des dispositifs portables.