Les changements dans les réseaux fonctionnels du cerveau induits par une tâche d'intégration visuomotrice

Réorganisation des réseaux cérébraux dans les tâches visuomotrices

Contexte de recherche

L’exécution du mouvement est une fonction cognitive complexe qui dépend de l’activation coordonnée de régions cérébrales spatialement proches et éloignées. Les tâches d’intégration visuomotrice nécessitent le traitement et l’interprétation des entrées visuelles pour planifier l’exécution du mouvement et ajuster les mouvements humains pour interagir avec l’environnement. Les études basées sur l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) ont montré que les régions frontales et pariétales jouent un rôle clé dans le processus d’intégration visuomotrice. De plus, le cortex sensorimoteur y est également impliqué. Cependant, les recherches existantes ont principalement exploré ces processus à l’aide de l’IRMf, avec relativement peu d’études sur les signaux électroencéphalographiques (EEG).

Dans de nombreuses études, les relations de dépendance statistique entre différentes régions cérébrales ont été clarifiées par l’analyse de la connectivité fonctionnelle, et la façon dont elles interagissent et communiquent dans différentes conditions a été étudiée. Certaines études ont examiné la connectivité cérébrale dans la bande gamma à l’aide de la magnétoencéphalographie (MEG) et de l’EEG intracérébral, révélant l’implication dynamique du cerveau dans les processus visuomoteurs. De plus, les études basées sur l’EEG ont confirmé le rôle des régions fronto-pariétales dans le traitement visuomoteur, et leur activité et leur interaction sont dépendantes de la fréquence.

Il a été signalé, en particulier chez les sujets droitiers, que lors de tâches motrices simples telles que le tapotement des doigts, l’opposition pouce-doigt et l’extension des doigts, les activations cérébrales pendant l’exécution du mouvement diffèrent entre les droitiers et les non-droitiers. Dans ces études, les tâches expérimentales étaient principalement des mouvements simples, sans impliquer le traitement des entrées visuelles. De même, les études EEG se sont principalement concentrées sur les différences d’activité cérébrale entre les mains gauche et droite. Par conséquent, l’activité cérébrale des mains gauche et droite pendant les tâches d’intégration visuomotrice nécessite une étude plus approfondie. La présente étude vise à combler cette lacune en utilisant le Nine Hole Peg Test (NHPT), une tâche d’intégration visuomotrice complexe.

Source de la recherche

Cet article de recherche a été rédigé par Alessandra Calcagno, Stefania Coelli, Martina Corda, Federico Temporiti, Roberto Gatti, Manuela Galli et Anna Maria Bianchi du Département d’électronique, d’informatique et de génie biologique (Department of Electronics, Information and Bioengineering, DEIB), Politecnico di Milano, de l’Unité de Physiothérapie (Physiotherapy Unit, IRCCS Humanitas Research Hospital) et du Département des Sciences Biomédicales Humaines (Department of Biomedical Sciences, Humanitas University). L’article a été publié en 2023 dans IEEE Transactions on Neural Systems and Rehabilitation Engineering.

Procédures de recherche

Configuration du protocole expérimental

Sujets

Quarante-quatre volontaires droitiers en bonne santé (23 hommes et 21 femmes, âgés de 18 à 30 ans) sans troubles musculo-squelettiques ni troubles neurologiques ont été recrutés. L’étude a été approuvée par le comité d’éthique du centre clinique et de recherche Humanitas (n. CLF20/08, juillet 2020) et a été menée dans les laboratoires d’analyse du mouvement et de la posture et B3Lab du Politecnico di Milano. Tous les volontaires ont donné leur consentement écrit avant l’expérience, et la confidentialité a été assurée par l’anonymisation des données.

Protocole d’acquisition

Le protocole expérimental comprenait les étapes suivantes : d’abord, les données EEG ont été acquises pendant une minute les yeux fermés et une minute les yeux ouverts au repos. Ensuite, les sujets ont effectué la tâche NHPT avec la main droite (RH) et la main gauche (LH), deux fois avec chaque main. Les données ont été enregistrées pendant la période de repos les yeux ouverts (baseline, BL) et pendant l’exécution du NHPT avec la RH et la LH. Les signaux EEG ont été enregistrés à 1024 Hz à l’aide d’un système à 64 électrodes (SD LTM 64 Express System) de Micromed, avec un placement des électrodes selon le système international 10-20, résultant en 55 voies finales.

Prétraitement de l’EEG

Le prétraitement de l’EEG a été effectué à l’aide de la boîte à outils MATLAB EEGLAB. Les signaux EEG bruts ont d’abord été filtrés passe-bande de 1 à 45 Hz et rééchantillonnés à 256 Hz. Ensuite, les voies bruyantes ont été identifiées manuellement et supprimées, les sources artéfactuelles ont été identifiées et supprimées par l’analyse en composantes indépendantes (ACI) avec le support du plug-in ICLabel. Les étapes finales comprenaient l’interpolation des voies et le ré-étalonnage par rapport à la moyenne commune.

Analyse spectrale

La densité spectrale de puissance (DSP) des signaux EEG a été estimée par la méthode de Welch, en appliquant une fenêtre de longueur 1 s avec un chevauchement de 50 % et un lissage (tapering). À l’intérieur de chaque fenêtre, le signal a été normalisé pour obtenir une moyenne nulle et une variance unitaire. Les changements de puissance par rapport à la condition baseline (BL) de 20 s les yeux ouverts ont ensuite été calculés :

Δ𝑃!"#$ = (𝑃!#"$ - 𝑃%&) / 𝑃%&

L’étude s’est concentrée sur les bandes de fréquence θ (4-8 Hz), μ (7-13 Hz) et β (14-24 Hz). Des plages spécifiques ont été choisies pour chaque bande afin d’éviter les chevauchements avec la bande μ.

Analyse de connectivité

La connectivité fonctionnelle entre les paires de signaux EEG a été étudiée à l’aide de l’indice de pente de phase (Phase Slope Index, PSI). Le PSI est calculé à partir de la différence de phase entre deux séries temporelles. La matrice de connectivité finale du PSI est anti-symétrique, contenant des informations directionnelles.

Analyse de théorie des graphes

L’analyse de la théorie des graphes a été utilisée pour décrire la structure topologique du réseau, y compris l’efficacité globale (GE), la modularité (Q) et le degré (D). L’efficacité globale et le degré caractérisent l’intégration du réseau, tandis que la modularité caractérise la séparation du réseau. L’analyse de la théorie des graphes a également été appliquée aux réseaux fronto-pariétaux (Frontoparietal Network, FPN), sensorimoteurs (SMN) et attentionnels (Attention Network, AN) connus.

Résultats et discussion

Résultats de l’analyse spectrale

Dans la bande θ, l’augmentation de la puissance θ fronto-pariétale et la désynchronisation dans les bandes μ et β étaient cohérentes pendant les mouvements de la main droite et de la main gauche. Ce phénomène est en accord avec les découvertes de la littérature liant l’augmentation du rythme θ au contrôle moteur, en particulier à la planification du mouvement, au traitement de la mémoire spatiale et à l’apprentissage moteur. Cependant, ces caractéristiques spectrales ne suffisent pas pour distinguer clairement les mécanismes cérébraux liés au mouvement de la main gauche et de la main droite.

Résultats de l’analyse de connectivité

L’analyse empirique des réseaux simplifiés (SIMNs) a révélé une augmentation significative du nombre de connexions dans la bande θ pendant le mouvement de la main droite, tandis que les réseaux dans les bandes μ et β étaient significativement réduits pendant l’exécution du mouvement. Cela est cohérent avec la désynchronisation dans les bandes μ et β liée au mouvement. De plus, l’analyse quantitative des propriétés de la théorie des graphes de la connectivité fonctionnelle a révélé des changements topologiques des réseaux dans différentes bandes de fréquence.

Résultats de l’analyse de la théorie des graphes

Dans la bande μ, les réseaux μ pendant l’exécution du mouvement présentaient moins de connexions, une intégration réduite (diminution de D et GE) et une séparation accrue (augmentation de Q). Ces changements étaient particulièrement prononcés pendant le mouvement de la main droite, tandis que la modulation μ du réseau attentionnel était similaire pendant l’exécution de la tâche avec les deux mains. Ces résultats soutiennent la désynchronisation du réseau dans la bande μ associée à l’exécution du mouvement.

Dans la bande β, une corrélation positive a été trouvée entre l’intégration du rythme β du réseau global et les performances de la tâche pendant l’exécution avec la main droite et la main gauche : une augmentation de GE était associée à un temps d’exécution de la tâche plus court et à de meilleures performances. Une tendance similaire a été observée dans la bande θ. Cela suggère que des communications efficaces entre les régions cérébrales distribuées soutiennent la fonction visuomotrice.

Limites de l’étude et travaux futurs

Certaines considérations méthodologiques, telles que le problème potentiel de la conduction de volume (Volume Conduction, VC) et la robustesse de l’estimation de la connectivité cérébrale, doivent être prises en compte. De plus, il est nécessaire d’effectuer des études similaires sur des sujets gauchers et des patients atteints de pathologies neurologiques, afin d’obtenir une compréhension physiologique et méthodologique plus large. Cela permettra de valider davantage l’approche proposée et d’identifier d’éventuels biomarqueurs pour évaluer les effets comportementaux des techniques de réadaptation neuronale chez les patients souffrant de déficits neurologiques et fonctionnels.

Conclusions

Cette étude a révélé une modulation fréquence-spécifique de la réorganisation des réseaux cérébraux associés au processus d’intégration visuomotrice, avec des patterns d’organisation des réseaux différents selon la bande de fréquence, le type de réseau fonctionnel et la condition de latéralité. Les mesures des réseaux globaux dans les bandes μ et β étaient corrélées aux performances de la tâche, fournissant des informations sur les changements des réseaux cérébraux chez les volontaires droitiers pendant les tâches visuomotrices. De plus, ces descripteurs de réseaux cérébraux peuvent fournir de nouvelles perspectives pour les stratégies de réadaptation et d’entraînement moteur à l’avenir.