Neuroimagerie rencontre neurophysiologie : existe-t-il des cartes motrices somatotopiques corticales en dehors du gyrus précentral humain ?
Nouvelles découvertes sur les cartes motrices du cortex cérébral
Contexte
Les humains et d’autres primates sont capables d’exécuter une grande variété de mouvements corporels complexes, dont l’initiation et le contrôle dépendent de multiples structures corticales et sous-corticales. Parmi celles-ci, le cortex moteur primaire (Primary Motor Cortex, M1), situé dans le gyrus précentral (precentral gyrus), est une région clé pour l’exécution des mouvements. Une caractéristique importante du M1 est son organisation somatotopique (somatotopic organization), c’est-à-dire une correspondance systématique entre la position des neurones et les parties du corps qu’ils contrôlent. Par exemple, en partant du sommet du gyrus précentral et en descendant vers le bas, les neurones contrôlent successivement les pieds, les jambes, les mains, les bras, le torse, le visage et la tête. Les premières preuves de cette organisation proviennent d’expériences de stimulation électrique directe sur des patients subissant une chirurgie crânienne éveillée.
Récemment, des études ont suggéré que, outre le M1, le cortex occipito-temporal latéral (Lateral Occipitotemporal Cortex, LOTC) et le précuneus pourraient également abriter des cartes motrices somatotopiques similaires. Ces découvertes sont importantes pour comprendre l’organisation du comportement moteur, en particulier les interactions entre les activités visuelles et motrices. Cependant, les preuves soutenant ces nouvelles cartes motrices restent limitées. Ainsi, cette étude vise à réévaluer l’existence de cartes motrices somatotopiques dans le LOTC et le précuneus en analysant un ensemble de données ouvert d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf).
Source de l’article
Cette étude a été réalisée par Deyan Ivaylov Mitev, Kami Koldewyn et Paul E. Downing, du département de psychologie de l’Université de Bangor (Royaume-Uni). L’article a été publié pour la première fois le 3 décembre 2024 dans le Journal of Neurophysiology, avec le DOI 10.1152/jn.00160.2024.
Méthodologie
1. Jeu de données et participants
L’étude analyse un ensemble de données ouvert d’IRMf comprenant 62 participants, chacun exécutant 12 mouvements différents de parties du corps. Tous les participants étaient droitiers, âgés de 19 à 29 ans. L’équipe de recherche a formé les participants avant les scans pour minimiser les effets des mouvements de la tête sur les données.
2. Conception de l’expérience IRMf
Les participants ont été invités à effectuer des mouvements simples de parties du corps, notamment les orteils, les chevilles, la jambe gauche, la jambe droite, les doigts, les poignets, les avant-bras, les bras, la mâchoire, les lèvres, la langue et les yeux. Tous les mouvements étaient bilatéraux, à l’exception des mouvements des jambes, qui étaient séparés en conditions gauche et droite. L’expérience a utilisé un design en blocs (block design), chaque bloc de mouvement durant 16 secondes, et chaque session de scan comprenant 6 blocs de mouvement et des blocs de repos.
3. Analyse des données
L’étude a utilisé une analyse basée sur la surface (surface-based analysis), en mappant les données IRMf de chaque participant sur un modèle de surface corticale standardisé (modèle fsaverage). L’équipe de recherche a conçu une série de mesures quantitatives pour tester l’existence de cartes motrices somatotopiques dans le LOTC et le précuneus. Les méthodes spécifiques incluent :
- Analyse de fiabilité divisée (Split-half reliability analysis) : Les données ont été divisées en sessions paires et impaires, et les corrélations des réponses à différents mouvements ont été calculées pour chaque petite région.
- Analyse d’autocorrélation spatiale (Spatial autocorrelation analysis) : Évaluation des changements de corrélation des réponses motrices à différentes distances sur le cortex.
- Analyse de similarité représentationnelle (Representational similarity analysis) : Test de la conformité des modèles de réponse du LOTC et du précuneus avec des modèles somatotopiques “de haut en bas” ou “de l’extérieur vers l’intérieur”.
- Analyse de connectivité de fond (Background connectivity analysis) : Analyse des séries temporelles résiduelles du GLM pour évaluer la connectivité fonctionnelle entre le M1, le LOTC et le précuneus.
Résultats principaux
1. Cartes motrices somatotopiques du M1 et du S1
L’étude a d’abord validé les cartes motrices somatotopiques du M1 et du cortex somatosensoriel primaire (Primary Somatosensory Cortex, S1). Les résultats montrent que les modèles de réponse du M1 et du S1 correspondent à la carte somatotopique classique, avec une séquence dorsale à ventrale correspondant aux mouvements des jambes, des bras, des doigts et de la tête. L’analyse de fiabilité divisée a montré que les réponses du M1 et du S1 à différents mouvements corporels étaient hautement fiables, et l’analyse d’autocorrélation spatiale a révélé que la corrélation des modèles de réponse diminuait avec la distance, devenant même négative.
2. Modèles de réponse du LOTC et du précuneus
Dans le LOTC, l’étude a trouvé des réponses motrices plus faibles et peu de preuves d’une carte motrice somatotopique. L’analyse de fiabilité divisée a montré que les réponses du LOTC à différents mouvements corporels étaient quelque peu fiables, mais l’analyse d’autocorrélation spatiale a indiqué que les modèles de réponse ne variaient pas de manière significative avec la distance dans le LOTC. L’analyse de similarité représentationnelle n’a pas non plus trouvé de conformité des modèles de réponse du LOTC avec les modèles somatotopiques “de haut en bas” ou “de l’extérieur vers l’intérieur”.
Dans le précuneus, l’étude a trouvé des preuves limitées d’une carte motrice somatotopique. L’analyse de fiabilité divisée a montré que les réponses du précuneus à différents mouvements corporels étaient quelque peu fiables, et l’analyse d’autocorrélation spatiale a révélé une tendance à la diminution de la corrélation des modèles de réponse avec la distance dans certaines régions. L’analyse de similarité représentationnelle a montré que les modèles de réponse du précuneus correspondaient partiellement au modèle somatotopique “de l’extérieur vers l’intérieur”.
3. Analyse de connectivité de fond
L’analyse de connectivité de fond a montré que la connectivité entre le M1 et le LOTC était faible et ne présentait pas de modèle somatotopique clair. Cependant, la connectivité entre le M1 et le précuneus a révélé certaines caractéristiques somatotopiques, en particulier dans l’hémisphère droit, où la partie inféro-postérieure du précuneus était plus fortement connectée aux régions du M1 contrôlant les mouvements de la tête, tandis que la partie supéro-antérieure était plus connectée aux régions contrôlant les mouvements des bras.
Conclusion et implications
Cette étude, grâce à une analyse quantitative des données IRMf, a réévalué l’existence de cartes motrices somatotopiques dans le LOTC et le précuneus. Les résultats montrent que le LOTC ne présente pratiquement aucune preuve d’une carte motrice somatotopique, tandis que le précuneus montre des caractéristiques somatotopiques limitées, en particulier dans l’analyse de connectivité fonctionnelle. Ces découvertes fournissent de nouvelles perspectives sur l’organisation des représentations motrices humaines, en mettant en lumière les relations complexes entre les activités visuelles et motrices.
Points forts de l’étude
- Jeu de données à grande échelle : L’étude analyse un ensemble de données IRMf de 62 participants, offrant des résultats statistiquement robustes.
- Méthodes d’analyse quantitative : Une série de mesures quantitatives a été conçue pour évaluer objectivement l’existence de cartes motrices somatotopiques.
- Analyse basée sur la surface : L’utilisation d’une analyse basée sur la surface a amélioré la sensibilité aux modèles de réponse continus sur le cortex.
- Analyse de connectivité de fond : L’analyse de connectivité de fond a révélé des caractéristiques somatotopiques entre le M1 et le précuneus.