Le chromosome X maternel affecte la cognition et le vieillissement cérébral chez les souris femelles

L’impact du chromosome X maternel sur la cognition et le vieillissement cérébral chez les souris femelles

Contexte

Chez les mammifères, les cellules femelles possèdent deux chromosomes X, l’un provenant de la mère (chromosome X maternel, Xm) et l’autre du père (chromosome X paternel, Xp). Au cours du développement embryonnaire, l’un des chromosomes X est inactivé de manière aléatoire, un processus connu sous le nom d’inactivation du chromosome X (X inactivation). Ce mécanisme entraîne une mosaïcité au niveau cellulaire chez les individus femelles, où certaines cellules expriment le chromosome X maternel et d’autres le chromosome X paternel. Cette mosaïcité varie entre les individus, certains présentant même un biais significatif dans l’inactivation du chromosome X. L’origine parentale du chromosome X peut influencer l’expression des gènes par des mécanismes épigénétiques tels que la méthylation de l’ADN, jouant ainsi un rôle de tampon dans les processus de vieillissement et de maladie. Cependant, on ignore encore si le biais d’inactivation du chromosome X ou la mosaïcité affectent les fonctions des individus femelles, en particulier la cognition et le vieillissement cérébral.

Cette étude vise à explorer si le biais d’activation du chromosome X maternel affecte les fonctions cérébrales et corporelles des souris femelles, et à révéler les caractéristiques uniques des neurones Xm et Xp dans la cognition et le vieillissement cérébral.

Source de l’article

Cet article a été co-écrit par Samira Abdulai-Saiku, Shweta Gupta, Dan Wang et leurs collègues, issus du Weill Institute for Neurosciences de l’University of California San Francisco, du Gladstone Institute of Cardiovascular Disease et du Bakar Aging Research Institute. L’article a été publié en 2024 dans la revue Nature sous le titre The maternal X chromosome affects cognition and brain ageing in female mice.

Méthodologie et résultats

1. Conception de l’étude et construction du modèle murin

Pour étudier l’impact du biais du chromosome X maternel chez les souris femelles, l’équipe de recherche a créé deux groupes de modèles murins : un groupe de souris mosaïques Xm+Xp (avec inactivation aléatoire normale du chromosome X) et un groupe de souris à biais Xm (où le chromosome X maternel est rendu actif dans toutes les cellules grâce à l’édition génétique). Les étapes spécifiques sont les suivantes : - Édition génétique : En supprimant le gène Xist (un régulateur clé de l’inactivation du chromosome X) et en utilisant le système Cre-loxP, les chercheurs ont assuré que le chromosome X maternel reste actif dans toutes les cellules. - Validation du modèle murin : La mosaïcité des souris Xm+Xp et l’inactivation du chromosome X paternel chez les souris Xm ont été vérifiées par immunofluorescence.

2. Évaluation des fonctions organiques

L’équipe a évalué de manière exhaustive les fonctions de plusieurs organes chez les souris Xm et Xm+Xp, incluant la fonction cardiaque, la densité osseuse, la composition corporelle et le métabolisme énergétique. Les résultats ont montré : - Fonction cardiaque : Les mesures par échocardiographie, telles que le volume ventriculaire gauche et la fraction d’éjection, n’ont révélé aucune différence significative entre les deux groupes de souris à l’âge moyen (16-19 mois). - Densité osseuse et composition corporelle : La densité osseuse, la masse maigre et le pourcentage de graisse mesurés par absorptiométrie à rayons X en double énergie (DEXA) n’ont montré aucune différence significative. - Métabolisme énergétique : Les paramètres métaboliques, tels que la consommation d’oxygène (VO2), la production de dioxyde de carbone (VCO2) et le quotient respiratoire (RER), mesurés dans des cages métaboliques (CLAMS), n’ont pas montré de différences significatives.

3. Tests de fonction cognitive

L’équipe a réalisé des tests cognitifs sur les souris Xm et Xm+Xp tout au long de leur vie, en se concentrant sur l’apprentissage spatial et la mémoire. Les principales expériences incluent : - Test du labyrinthe aquatique de Morris : Utilisé pour évaluer l’apprentissage spatial et la mémoire. Les résultats ont montré que les souris Xm n’avaient pas de déficit d’apprentissage spatial à un jeune âge (4-8 mois), mais présentaient des déficits de mémoire significatifs. - Test en champ ouvert : Utilisé pour évaluer la mémoire spatiale par des tests répétés. Les souris Xm ont montré une tendance accrue à l’oubli à l’âge moyen (9-11 mois) et à un âge avancé (20-24 mois). - Test du labyrinthe en Y : Utilisé pour évaluer la mémoire de travail et la mémoire spatiale. Les souris Xm ont montré des déficits de mémoire de travail significatifs à un âge avancé.

4. Vieillissement cérébral et analyse épigénétique

Pour explorer si le chromosome Xm accélère le vieillissement cérébral, l’équipe a analysé l’âge épigénétique (epigenetic clock analysis) de l’hippocampe des souris. Les résultats ont montré : - Âge épigénétique : L’hippocampe des souris Xm a montré une accélération significative de l’âge épigénétique à un âge avancé, tandis que l’âge épigénétique du sang ne présentait pas de différence significative. - Analyse spécifique des neurones : En séparant les neurones Xm et Xp par tri cellulaire activé par fluorescence (FACS), les neurones Xm ont montré une accélération significative de l’âge épigénétique à un âge avancé.

5. Empreinte génétique et expériences d’activation CRISPR

L’équipe a également exploré si le chromosome Xm influence la cognition par l’empreinte génétique (imprinting). Grâce au séquençage d’ARN (RNA-seq) et à la PCR quantitative en temps réel (RT-qPCR), neuf gènes (dont SASH3, TLR7 et CYSLTR1) ont été identifiés comme étant soumis à l’empreinte dans les neurones Xm. Pour valider la fonction de ces gènes, l’équipe a utilisé la technologie d’activation CRISPR (CRISPRa) pour surexprimer simultanément SASH3, TLR7 et CYSLTR1 dans l’hippocampe de souris âgées. Les résultats ont montré : - Validation de CRISPRa : Dans des expériences in vitro, CRISPRa a augmenté l’expression des ARNm de SASH3, TLR7 et CYSLTR1 d’environ deux fois. - Tests comportementaux : Chez les souris âgées, CRISPRa a significativement amélioré l’apprentissage spatial et la mémoire.

Conclusion et signification

Cette étude révèle que le biais d’activation du chromosome X maternel affecte significativement la cognition des souris femelles et accélère le vieillissement épigénétique de l’hippocampe. Les neurones Xm silencent certains gènes liés à la cognition par un mécanisme d’empreinte génétique, et l’activation de ces gènes par CRISPRa améliore la cognition chez les souris âgées. Ces résultats mettent en lumière l’impact de l’origine parentale du chromosome X sur la cognition et le vieillissement cérébral, offrant de nouvelles perspectives pour comprendre l’hétérogénéité de la santé cognitive chez les individus femelles.

Points forts de l’étude

  1. Découverte majeure : Première démonstration que le chromosome X maternel influence la cognition et le vieillissement cérébral par un mécanisme d’empreinte génétique.
  2. Innovation méthodologique : Utilisation réussie de CRISPRa pour activer plusieurs gènes soumis à l’empreinte chez des souris âgées, améliorant ainsi la cognition.
  3. Valeur appliquée : Fournit une base théorique pour le développement de stratégies épigénétiques visant à contrer le déclin cognitif et le vieillissement cérébral.

Autres informations pertinentes

L’étude a également révélé que l’impact du chromosome Xm sur les fonctions cérébrales pourrait être plus prononcé que sur d’autres organes, en lien avec la forte expression des gènes du chromosome X dans le cerveau. De plus, les résultats concordent avec les déficits cognitifs observés chez les patientes atteintes du syndrome de Turner (Turner syndrome), soulignant l’importance de l’origine parentale du chromosome X pour la cognition.