Un atlas cellulaire du cortex temporal met en lumière la dynamique de l'expression génique lors de la maturation du cerveau humain

Étude sur les dynamiques d’expression génétique dans la maturation du cerveau humain : une nouvelle carte temporelle des cellules cérébrales

Contexte scientifique

Le développement et la maturation du cerveau humain représentent un domaine clé en neuroscience, bien qu’il reste encore de nombreuses questions sans réponse. Le cerveau humain en développement subit un processus de maturation postnatale complexe et prolongé, guidé par des dynamiques de changements dans l’expression génétique. Bien que des études antérieures basées sur des approches de transcriptomique de tissus en vrac (bulk tissue) aient révélé des changements significatifs dans l’expression des gènes, notamment lors de la transition entre la fin de la période fœtale et le début de la petite enfance, ainsi que pendant les changements structurels et fonctionnels drastiques survenant durant l’enfance et l’adolescence, ces études présentent la limite de ne pas avoir identifié les changements d’expression génétique spécifiques à chaque type cellulaire. Par conséquent, ce qui arrive exactement à l’expression génétique au niveau de chaque type cellulaire lors de la maturation du cerveau entre l’enfance et l’âge adulte demeure une question scientifique non résolue.

En outre, à l’échelle mondiale, les cartes cellulaires cérébrales humaines actuellement élaborées se concentrent principalement sur les adultes, avec une couverture insuffisante des étapes infantiles. L’Afrique, en tant que région présentant la plus grande diversité génétique au monde et une population infantile en forte croissance, met en évidence l’importance cruciale de créer une carte de référence des cellules cérébrales incluant des échantillons d’enfants d’origine africaine. Cela pourrait non seulement contribuer à l’étude des mécanismes du développement cérébral à l’échelle mondiale, mais aussi fournir un cadre de référence pour comprendre l’impact de maladies locales, telles que la méningite tuberculeuse (tuberculous meningitis, TBM) et le VIH, sur le développement cérébral.

Origine de l’étude

Cette étude, intitulée A temporal cortex cell atlas highlights gene expression dynamics during human brain maturation, a été réalisée par Christina Steyn et ses collègues de plusieurs institutions de recherche, notamment plusieurs départements de l’Université de Cape Town, le MRC Weatherall Institute of Molecular Medicine de l’Université d’Oxford, ainsi que le Stowers Institute for Medical Research. Cette recherche est publiée dans le numéro de décembre 2024 de la revue Nature Genetics (volume 56, doi:10.1038/s41588-024-01990-6).

Méthodologie et déroulement de l’étude

L’équipe de chercheurs a utilisé la technologie de séquençage ARN nucléaire unique (single-nucleus RNA sequencing, snRNA-seq) pour analyser des échantillons de tissus du lobe temporal provenant d’enfants et d’adultes d’origine africaine. L’objectif était de construire une carte cellulaire couvrant les périodes pédiatriques et adultes afin de mettre en lumière les différences d’expression génétique lors de la maturation cérébrale.

a) Conception expérimentale et déroulement

La première étape de l’étude a consisté en un séquençage snRNA-seq sur des échantillons de tissus du lobe temporal provenant de cinq donneurs pédiatriques et trois adultes. Ces échantillons incluent un total de 23 ensembles de données provenant de 12 donneurs, avec 144,438 noyaux cellulaires de haute qualité. Ces données ont été intégrées à 17 ensembles de données similaires publiés, utilisant des méthodes largement employées en biologie comme l’UMAP (Uniform Manifold Approximation and Projection) pour identifier et annoter 75 sous-types cellulaires. L’annotation a été réalisée en se basant sur la taxonomie cellulaire du gyrus temporal moyen (middle temporal gyrus, MTG) de la carte cérébrale Allen (Allen Brain Map).

Par la suite, pour localiser précisément ces sous-types cellulaires, la transcriptomique spatiale (spatial transcriptomics) a été utilisée. Grâce à la plateforme Visium, des sections de tissus provenant de deux donneurs (âgés respectivement de 15 et de 31 ans) ont été séquencées pour estimer l’abondance des types cellulaires. L’approche de factorisation matricielle non négative (nonnegative matrix factorization, NMF) a permis d’identifier 15 compartiments cellulaires et d’analyser leur distribution dans les couches corticales.

L’étude a également employé l’algorithme d’apprentissage automatique NS-Forest v.2.0 pour définir un ensemble minimal de gènes marqueurs (minimal marker genes) pour chaque sous-type cellulaire, afin de vérifier si ces marqueurs génétiques peuvent être généralisés à travers des ensembles de données intergénérationnels.

Enfin, au moyen d’analyses d’expression génétique différentielle (differential gene expression, DEG) et d’enrichissement de jeux de gènes (Gene Set Enrichment Analysis, GSEA), l’équipe de recherche a révélé les différences fonctionnelles et dynamiques des voies génétiques entre les échantillons pédiatriques et adultes dans divers types cellulaires.

b) Résultats et analyses expérimentales

1. Organisation et répartition des types cellulaires
L’analyse des données a montré que les 75 sous-types cellulaires couvrent les principaux types de cellules neuronales et non neuronales, ainsi que leurs sous-types respectifs, dans le cerveau. Les neurones se distinguent des cellules non neuronales par le nombre plus élevé de gènes détectés et d’identifiants moléculaires uniques (UMIs). Entre les échantillons pédiatriques et adultes, la distribution globale des types cellulaires était similaire, signalant que la composition cellulaire change peu au cours de la maturation cérébrale. Parmi les deux groupes d’échantillons, les oligodendrocytes étaient le type cellulaire non neuronal le plus fréquent, tandis que les exc_l2-3_linc00507_frem3 étaient le sous-type neuronal prédominant.

2. Localisation spatiale des cellules
Les données transcriptomiques spatiales montrent que les architectures cellulaires tissulaires des échantillons adultes et pédiatriques sont très semblables. La distribution des sous-types neuronaux correspondait étroitement aux caractéristiques stratifiées du cortex cérébral, par exemple, le sous-type exc_l2_lamp5_ltk principalement localisé dans la couche corticale 2, et le sous-type exc_l6_fezf2_scube1 s’étendant dans la substance blanche. Les types non neuronaux, tels que les deux sous-types de cellules astrocytaires (astrocytes), présentaient des profils de distribution distincts, cohérents avec leurs caractéristiques fonctionnelles.

3. Expression différentielle des gènes
On a détecté 165 gènes significativement différenciés dans 21 sous-types cellulaires, dont 123 étaient sur-exprimés dans les échantillons pédiatriques et 42 sous-exprimés. Les gènes tels que lamc3 et sox11 étaient sur-exprimés dans de multiples sous-types de neurones excitateurs et sont connus pour jouer un rôle clé dans la stratification corticale et la neurogenèse. Par ailleurs, certains gènes spécifiques comme fnbp1l montraient une expression accrue dans des sous-types neuronaux spécifiques (exc_l2-3_linc00507_frem3), suggérant leur implication comme moteurs des processus de maturation cérébrale spécifiques à l’enfance.

4. Analyse des voies fonctionnelles cérébrales
L’analyse GSEA a révélé que dans les échantillons pédiatriques, les voies associées à la respiration cellulaire, à la plasticité synaptique et à la régulation de la traduction protéique étaient significativement enrichies, ce qui pourrait refléter les besoins métaboliques accrus du cerveau infantile et le remodelage des circuits neuronaux. À l’opposé, les voies favorisant la croissance synaptique et l’enveloppement axonal étaient significativement réduites, pouvant être liées au processus d’élagage synaptique (synaptic pruning).

5. Recherche sur des biomarqueurs pathologiques à l’étape infantile
En utilisant cette carte cellulaire, les chercheurs ont étudié l’expression cellulaire des biomarqueurs potentiels de la méningite tuberculeuse (TBM) pédiatrique. Bon nombre de ces gènes, tels que fads2, étaient sur-exprimés dans les types non neuronaux comme les astrocytes. Cependant, certains sous-types neuronaux semblaient également impliqués dans les processus neurotoxiques associés à la maladie.

c) Conclusion de l’étude

Cette étude a permis la création d’une carte cellulaire unifiée du lobe temporal, couvrant les échantillons pédiatriques et adultes, et a révélé en premier lieu les caractéristiques dynamiques de l’expression des gènes dans divers sous-types cellulaires au cours de la maturation cérébrale. Cette ressource contribue non seulement à la compréhension des mécanismes du développement cérébral humain, mais fournit aussi un outil essentiel pour analyser les états pathologiques à travers l’expression génétique. En particulier, en introduisant des échantillons pédiatriques d’origine africaine, cette recherche apporte une diversité accrue à la base de données du Human Cell Atlas (HCA).

d) Points forts de l’étude

  • Innovation des données : inclusion inédite d’échantillons pédiatriques africains.
  • Technologie de pointe : combinaison du séquençage nucléaire et de la transcriptomique spatiale pour une analyse cellulaire à haute résolution.
  • Expression génétique différenciée : mise en lumière des changements subtils de l’expression génétique entre l’enfance et l’âge adulte.
  • Potentiel applicatif : extension de l’utilité de la base de données dans la recherche sur les mécanismes des troubles neurodéveloppementaux.

e) Informations supplémentaires d’intérêt

Cette recherche enrichit les ressources globales de données monocellulaires et fournit une voie pratique pour l’élaboration de cartes de référence humaines inclusives et diversifiées. En explorant les profils d’expression génétique à l’échelle cellulaire dans des contextes pathologiques, elle ouvre la voie à une médecine de précision personnalisée.