L'activité spontanée des nocicepteurs est responsable de la fragmentation du sommeil à mouvements oculaires non rapides chez les modèles murins de douleur neuropathique

Contexte et Motivation de la Recherche

La douleur neuropathique est un problème clinique complexe et courant, accompagné d’une douleur spontanée persistante. Les patients signalent souvent des douleurs spontanées, des sensations de décharge électrique, des douleurs brûlantes, etc. Les mécanismes physiologiques de cette douleur sont complexes et trouver des modèles de recherche fiables ou des biomarqueurs est difficile, rendant le développement d’outils de diagnostic et de traitements efficaces particulièrement ardu. Les recherches cliniques et précliniques actuelles se basent principalement sur l’évaluation du comportement face à des stimulations mécaniques ou thermiques provoquant la douleur, mais leur valeur de transition est limitée car les principaux symptômes des patients souffrant de douleur neuropathique sont des douleurs spontanées, et non des douleurs induites par des stimuli.

Dans ce contexte, Alexandre et al. ont mené une étude approfondie pour explorer comment la douleur neuropathique affecte le sommeil à mouvements oculaires non rapides (Non-Rapid Eye Movement Sleep, NREMS) chez les souris, et pour identifier les voies neuronales qui conduisent à ce phénomène de fragmentation du sommeil.

Origine

Cette étude a été coécrite par Chloé Alexandre, Giulia Miracca et plusieurs autres chercheurs issus de l’Université Johns Hopkins, de l’Université de Harvard, et d’autres institutions de recherche renommées. L’article a été publié le 17 avril 2024, dans la revue “Science Translational Medicine”.

Déroulement de l’Étude

Conception Expérimentale

La recherche a principalement utilisé une série d’étapes expérimentales pour révéler l’impact de la douleur neuropathique sur le sommeil et l’activité neuronale des souris. Le processus est détaillé comme suit :

  1. Préparation du Modèle de Souris : L’étude a utilisé plusieurs modèles de souris souffrant de douleur, y compris des douleurs neuropathiques (lésion nerveuse épargnée et lésion par compression chronique), des douleurs inflammatoires (injection de Freund complet et injection de carraghénine) et des douleurs chimiques (injection de capsaïcine).

  2. Enregistrements EEG/EMG : Les souris ont été soumises à des enregistrements électroencephalographiques (EEG) et électromyographiques (EMG) utilisant des techniques électrophysiologiques pour analyser en détail les schémas de sommeil des souris sous différents modèles de douleur.

  3. Stimulation Optogénétique : La stimulation optogénétique des neurones positifs pour Nav1.8 et TRPV1 a été réalisée pour étudier l’influence de la stimulation lumineuse unique et répétée sur l’éveil pendant le sommeil NREMS des souris.

  4. Knockout Génique et Tests Médicamenteux : Des études de knockout génique et des traitements médicamenteux ont été réalisés pour clarifier le rôle de neurones spécifiques dans la régulation de la douleur et du sommeil.

Résultats de l’Expérience

Opérations Optogénétiques

  1. Activation Optogénétique Unique : Pendant le sommeil NREMS, l’activation lumineuse unique des neurones Nav1.8 et TRPV1 entraîne un éveil rapide des souris, avec un temps d’éveil moyen de 86,9±3,9 millisecondes et une durée moyenne d’éveil de 5,7±0,6 secondes.

  2. Activation Optogénétique Répétée : Une activation répétée (10 impulsions laser toutes les 10 secondes) pendant la période d’éveil augmente significativement la puissance des ondes Gamma (30-100Hz) de l’EEG.

Impact des Lésions Neuropathiques sur le Sommeil

  1. Lésion Nerveuse Špargnée (SNI) : Dans le modèle SNI, le sommeil NREMS des souris est fréquemment interrompu par des éveils brefs, entraînant une fragmentation de la structure du sommeil.

  2. Fragmentation du NREMS Après Lésion Nerveuse : Il a été observé que la fréquence des éveils brefs (durée inférieure à 16 secondes) augmente significativement après la lésion, ces éveils étant fortement corrélés avec les creux de puissance dans la bande Sigma de l’EEG (oscillation 0,02Hz).

  3. Lésion par Compression Chronique (CCI) et Écrasement (SNcrush) : Ces deux modèles montrent également des phénomènes similaires de fragmentation du sommeil, le pic de fragmentation pour le modèle CCI survenant à la 5e semaine post-lésion, tandis que pour le modèle SNcrush, la fragmentation diminue progressivement avec la récupération nerveuse.

  4. Impact de la Douleur Inflammatoire et Chimique sur le NREMS : Contrairement aux modèles de douleur neuropathique, les douleurs inflammatoires et chimiques n’entraînent pas de fragmentation du sommeil NREMS.

Études de Knockout Génique et de Traitement Médicamenteux

  1. Knockout Nav1.8::Tet-Tox et TRPV1::DTA : Les résultats montrent que les souris avec ces gènes supprimés ne présentent pas de fragmentation du NREMS dans le modèle SNI, indiquant le rôle clé de ces neurones dans l’éveil induit par la douleur.

  2. Effet des Traitements Médicamenteux : Les tests montrent que les anticonvulsivants gabapentine et carbamazépine peuvent réduire efficacement la fragmentation du NREMS dans les modèles de douleur neuropathique, alors que la morphine n’a pas d’effet significatif.

Rôle des Neurones Positifs pour CGPR dans le Nucleus Parabrachial Latéral

L’injection de AAV-Flex-DTA dans le nucleus parabrachial latéral des souris a révélé que l’élimination des neurones positifs pour CGPR réduit significativement la fragmentation du NREMS dans le modèle SNI, indiquant le rôle essentiel de ces neurones dans le processus d’éveil.

Conclusion

Cette étude démontre comment la lésion nerveuse périphérique fragmente le sommeil NREMS par des éveils brefs, et identifie les voies neuronales clés de ce processus : l’activation ectopique des neurones sensoriels positifs pour NaV1.8 et TRPV1 est transmise au cortex cérébral via les neurones positifs pour CGPR dans le nucleus parabrachial latéral.

La fragmentation du sommeil pourrait représenter non seulement un symptôme de la douleur neuropathique spontanée mais aussi un indicateur fiable de l’efficacité des traitements cliniques et thérapeutiques. Plus important encore, cette étude aide à comprendre les mécanismes des troubles du sommeil liés à la douleur neuropathique, fournissant ainsi de nouvelles cibles et perspectives pour les traitements futurs.

Signification de la Recherche

Cette recherche, par le biais de méthodes expérimentales diversifiées, analyse et valide l’influence de la douleur neuropathique sur le sommeil NREMS de manière exhaustive, fournissant ainsi une référence précieuse aux scientifiques et aux cliniciens. En particulier, pour l’identification précise et la quantification de la douleur spontanée, cette étude offre une méthode d’évaluation nouvelle et une base théorique, ayant une immense valeur scientifique et clinique.