Niveaux de lactate préhospitaliers obtenus dans l'ambulance et prédiction de la mortalité hospitalière à 2 jours chez les patients ayant subi un traumatisme crânien

Rapport de recherche

Aperçu du contexte

Le traumatisme crânien (Traumatic Brain Injury, TBI) est une des principales causes d’invalidité permanente et de mortalité dans le monde. Ces troubles présentent des caractéristiques dynamiques et évolutives, impliquant des lésions cérébrales progressives, des changements pathophysiologiques et des atteintes multisystémiques. La gravité du TBI est généralement évaluée à l’aide de l’échelle de Glasgow (Glasgow Coma Scale, GCS). Cette échelle a été créée par Teasdale et Jennett en 1974, et a été intégrée pour la première fois dans les normes de l’Advanced Trauma Life Support (ATLS) en 1980. Le GCS est un système de notation simple, fiable et facile à interpréter, utilisé pour surveiller en détail le niveau de conscience des patients atteints de TBI, en particulier dans les services médicaux d’urgence (Emergency Medical Services, EMS), qui l’ont adopté comme un outil essentiel pour l’évaluation initiale des patients. Cependant, le GCS présente certaines limites dans l’évaluation globale, et la présente étude vise à explorer le potentiel et la performance du GCS combiné au lactate comme outils de prise de décision clinique.

Origine de l’étude

Cet article de recherche a été rédigé par Francisco Martin-Rodriguez, Ancor Sanz-Garcia, Raul Lopez-Izquierdo, Juan F. Delgado Benito, Francisco T. Martinez Fernandez, Santiago Otero de la Torre et Carlos Del Pozo Vegas, tous affiliés à plusieurs universités et hôpitaux espagnols. L’étude a été publiée dans la revue Neurology en août 2024.

Méthodologie de l’étude

Conception de l’étude et participants

Cette étude est une étude prospective, multicentrique, basée sur une cohorte de validation et de dérivation, réalisée par les EMS, et menée du 1er novembre 2019 au 31 juillet 2022 dans cinq hôpitaux tertiaires en Espagne. Les participants sont des adultes ayant subi un TBI aigu. Les critères d’exclusion comprenaient les mineurs, les femmes enceintes, les patients traumatisés sans signes de TBI, les patients présentant des manifestations retardées, les patients libérés sur place, les patients ayant subi un arrêt cardiaque, ainsi que les patients pour lesquels un échantillon sanguin ne pouvait être obtenu. Les principaux résultats sont la mortalité hospitalière à 2 jours et la mortalité à 90 jours, toutes causes confondues.

Déroulement de l’étude

L’étude a recruté 509 patients, d’un âge moyen de 58 ans (intervalle interquartile : 43-75), dont 167 femmes (32,8 %). La conception de l’étude comprenait deux cohortes, une cohorte de dérivation et une cohorte de validation. Pour tous les patients, les niveaux de lactate et de glucose ont été enregistrés sur le site des EMS, en plus de la surveillance des signes vitaux correspondants.

Les principales procédures expérimentales et de collecte de données comprenaient : 1. Données épidémiologiques : sexe, âge, chronologie, équipe de travail et zone d’intervention. 2. Détails des blessures : mécanisme, blessures associées, traumatisme pénétrant. 3. Signes vitaux sur place : fréquence respiratoire, saturation en oxygène, pression artérielle systolique, fréquence cardiaque et score GCS. 4. Tests rapides sur place (POCT) : incluant les concentrations de lactate et de glucose. 5. Appareils et algorithmes associés : surface sous la courbe ROC (AUC), analyse des courbes de calibration et autres modèles statistiques.

Analyse des données

L’analyse des données a été réalisée à l’aide du logiciel statistique R (version 4.2.2). Les caractéristiques des données comprenaient l’utilisation de pourcentages pour représenter les variables catégorielles, et de moyennes et d’écarts types pour les variables continues. L’efficacité du lactate en tant que facteur prédictif de la mortalité à court terme a été évaluée par des modèles de régression multiple, des courbes de calibration, et divers indicateurs statistiques tels que la sensibilité (Sensitivity, Sen), la spécificité (Specificity, Sp), la valeur prédictive positive (PPV) et la valeur prédictive négative (NPV).

Principaux résultats de l’étude

Un total de 509 patients ont été finalement inclus dans l’étude, avec les principales découvertes suivantes :

  1. Mortalité hospitalière à 2 jours et à 90 jours :
    • Le taux de mortalité hospitalière à 2 jours pour les patients atteints de TBI modéré à léger (GCS ≥ 9) était de 2,2 %, tandis que celui des patients atteints de TBI sévère (GCS ≤ 8) était de 44,7 %.
    • Des niveaux élevés de lactate étaient significativement associés à une augmentation de la mortalité à court terme.
  2. Capacité prédictive du lactate :
    • La capacité prédictive de la concentration de lactate dans la cohorte de validation avait une AUC de 0,874 (95% CI 0,805–0,942).
    • Pour les patients avec un GCS ≥ 9, la capacité prédictive du lactate était encore plus forte, avec une AUC de 0,925 (95% CI 0,808–1,000) et une valeur prédictive négative de 99,09 (95% CI 98,55–99,64).
  3. Signification clinique :
    • La mesure des niveaux de lactate permet de repérer précocement les patients atteints de TBI à haut risque, en particulier ceux ayant un score GCS élevé. Cela a une importance clinique majeure pour optimiser les stratégies de transport et de traitement des patients.

Résumé et conclusions

L’étude démontre que l’utilisation du dosage du lactate chez tous les patients atteints de TBI, en particulier ceux ayant un score GCS ≥ 9, présente des avantages significatifs. L’inclusion systématique du dosage du lactate pourrait réduire la mortalité et le taux de détérioration grâce à une identification rapide et plus précise des patients à haut risque. Cette étude souligne que l’utilisation systématique du dosage du lactate par POCT (tests rapides sur place) pourrait aider les services médicaux à identifier plus efficacement les patients potentiellement en situation critique neurologique dès la phase préhospitalière, optimisant ainsi le processus de prise de décision et améliorant le pronostic des patients.

Points forts de l’étude

Les découvertes importantes de cette étude incluent : 1. Efficacité du lactate en tant que facteur prédictif précoce : les niveaux de lactate se sont révélés très efficaces pour prédire la mortalité à court terme chez les patients atteints de TBI, notamment ceux avec un TBI modéré à léger. 2. Complément du score GCS : bien que le score GCS soit largement utilisé en pratique clinique, les niveaux de lactate fournissent des informations prédictives supplémentaires, aidant à identifier les patients à haut risque. 3. Amélioration des services médicaux sur le terrain : les tests rapides de lactate dans les services médicaux d’urgence peuvent optimiser de manière significative les stratégies de réponse des EMS, améliorant ainsi l’efficacité des interventions précoces chez les patients atteints de TBI.

Cette étude offre une nouvelle perspective sur la prédiction et l’intervention précoces chez les patients atteints de traumatisme crânien, montrant le grand potentiel du lactate en tant que biomarqueur dans l’application clinique.