Surveillance postopératoire des patients complétée par la famille (SMARTER) : un essai pilote en grappes randomisées en escalier

Contexte académique

En Afrique, la mortalité postopératoire est deux fois plus élevée que dans les pays à revenu élevé, et la plupart des décès surviennent dans les salles de réveil après que les patients ont développé des complications postopératoires. Ce problème est principalement dû à une surveillance postopératoire insuffisante, ce qui empêche la détection et l’intervention précoces en cas de détérioration de l’état des patients. Les ressources médicales en Afrique étant limitées, le ratio infirmier-patient peut atteindre 60:1, rendant une surveillance postopératoire étroite extrêmement difficile. Cependant, les membres de la famille des patients sont souvent présents à leur chevet, dormant même à côté du lit. Par conséquent, les chercheurs ont émis l’hypothèse que la formation des membres de la famille pour les aider à surveiller les signes vitaux de base pourrait augmenter la fréquence de la surveillance postopératoire, permettant ainsi une détection précoce de la détérioration et une réduction de la mortalité postopératoire.

Source de l’article

Cet article a été rédigé par Adam Hewitt-Smith et al., des auteurs issus de la Faculté de médecine et de dentisterie de l’Université Queen Mary de Londres, du Département d’anesthésie et de soins intensifs de la Faculté des sciences de la santé de l’Université Busitema en Ouganda, du Centre Elgon pour la recherche et l’innovation en santé (ElCHRI) en Ouganda, entre autres institutions. L’article a été publié le 27 juillet 2024 dans le British Journal of Anaesthesia, sous le titre Family supplemented patient monitoring after surgery (SMARTER): a pilot stepped-wedge cluster-randomised trial.

Conception et méthodes de l’étude

Conception de l’étude

L’étude SMARTER est un essai randomisé en grappes en escalier (stepped-wedge cluster-randomised trial) visant à évaluer l’efficacité d’une intervention consistant à former les membres de la famille des patients pour aider les infirmières à surveiller les signes vitaux postopératoires. L’étude a été menée à l’hôpital régional de référence de Mbale en Ouganda pendant six mois (d’avril à octobre 2021). Cet hôpital est un établissement d’enseignement de 470 lits desservant une population de 4,5 millions d’habitants. L’étude a inclus quatre salles de réveil postopératoires, dont deux salles chirurgicales et deux salles mixtes d’obstétrique/gynécologie.

Population étudiée

L’étude a inclus 1395 patients postopératoires, avec un âge moyen de 28,2 ans, dont 85,7 % étaient des femmes. L’intervention chirurgicale la plus courante était la césarienne (74,8 %). Les patients ou leurs proches devaient parler l’une des cinq langues couramment utilisées et fournir un consentement éclairé écrit pendant la phase d’intervention. Les critères d’exclusion comprenaient les patients de moins de 5 ans, ceux sortis le jour même de l’opération ou ceux identifiés plus de 24 heures après leur intervention.

Intervention

L’intervention consistait à former les membres de la famille des patients à effectuer une surveillance des signes vitaux de base toutes les 4 heures, y compris la fréquence cardiaque, la fréquence respiratoire, le niveau de conscience (en utilisant le score AVPU) et la saturation en oxygène (SpO2). Les membres de la famille ont également été formés à enregistrer les signes vitaux et des affiches colorées ont été placées dans les salles pour les aider à juger si les signes vitaux étaient normaux. Les membres de la famille avaient accès à un oxymètre de pouls partagé pour la surveillance. L’intervention a commencé à l’arrivée du patient en salle de réveil et a duré jusqu’à la fin du troisième jour postopératoire.

Collecte et analyse des données

Le critère de jugement principal était le nombre de mesures des signes vitaux effectuées toutes les 24 heures au cours des trois premiers jours postopératoires. Les critères de jugement secondaires comprenaient la mortalité hospitalière toutes causes confondues dans les 30 jours suivant l’opération et la durée du séjour hospitalier. L’analyse des données a utilisé un modèle mixte binomial négatif, ajusté pour l’intervention, la période, le cluster, le risque chirurgical et d’autres facteurs.

Résultats de l’étude

Résultats principaux

Dans le groupe d’intervention, le nombre de mesures des signes vitaux toutes les 24 heures a augmenté de manière significative au cours des trois premiers jours postopératoires. Le nombre médian de mesures dans le groupe témoin était de 0 (0-1), tandis que dans le groupe d’intervention, il était de 3 (1-8), avec un taux d’incidence de 12,4 (IC à 95 % 8,8-17,5, p,001). Cela indique que la participation des membres de la famille à la surveillance a considérablement augmenté la fréquence des mesures des signes vitaux.

Résultats secondaires

En ce qui concerne la mortalité hospitalière, elle était de 0,84 % (6718) dans le groupe témoin et de 1,77 % (12677) dans le groupe d’intervention, sans différence significative entre les deux groupes (OR 1,32, IC à 95 % 0,1-14,7, p=0,821). La durée du séjour hospitalier n’a pas non plus montré de différence significative entre les deux groupes (groupe témoin : 2 [2-3] jours, groupe d’intervention : 2 [2-4] jours ; HR 1,11, IC à 95 % 0,84-1,47, p=0,44).

Discussion et conclusion

Principales conclusions

L’étude SMARTER montre que la formation des membres de la famille pour les aider à surveiller les signes vitaux postopératoires est réalisable et augmente considérablement la fréquence de la surveillance. Bien qu’il n’y ait pas de différence significative dans la mortalité hospitalière et la durée du séjour entre les groupes d’intervention et de contrôle, le potentiel de la participation des membres de la famille à la surveillance mérite des recherches supplémentaires.

Importance de l’étude

Cette étude fournit de nouvelles preuves sur la participation des membres de la famille aux soins des patients dans des environnements à faibles ressources. La participation active des membres de la famille à la surveillance postopératoire pourrait aider à alléger la charge de travail des infirmières et à augmenter la fréquence de la surveillance des patients postopératoires. Cependant, des recherches futures sont nécessaires pour valider l’impact réel de cette intervention sur les résultats des patients, en particulier en ce qui concerne la réduction de la mortalité postopératoire.

Points forts de l’étude

  1. Intervention innovante : Première évaluation systématique de la faisabilité de la participation des membres de la famille à la surveillance des signes vitaux postopératoires dans un environnement à faibles ressources.
  2. Augmentation significative de la fréquence de surveillance : Le nombre de mesures des signes vitaux a augmenté de 12 fois dans le groupe d’intervention, montrant que les membres de la famille peuvent efficacement aider les infirmières à surveiller les patients.
  3. Potentiel d’application dans des environnements à faibles ressources : Cette intervention offre une nouvelle approche pour les soins postopératoires dans des environnements à faibles ressources, en particulier lorsque les ressources infirmières sont limitées.

Conclusion

L’étude SMARTER montre que la participation des membres de la famille à la surveillance des signes vitaux postopératoires peut augmenter considérablement la fréquence de la surveillance, bien que son impact sur la mortalité hospitalière et la durée du séjour ne soit pas encore significatif. Cette intervention a un potentiel important dans des environnements à faibles ressources, et des essais d’efficacité à plus grande échelle sont nécessaires pour valider son impact sur les résultats des patients.