Séquençage d'ARN unicellulaire du sang périphérique lie la régulation spécifique du type cellulaire de l'épissage aux maladies auto-immunes et inflammatoires
Le séquençage ARN à cellule unique révèle la régulation spécifique des types cellulaires dans le sang périphérique et ses liens avec les maladies auto-immunes et inflammatoires
Introduction
Ces dernières années, les avancées de la recherche en génomique ont permis une compréhension plus approfondie des bases génétiques des traits complexes. Cependant, pour la majorité des loci associés aux traits complexes identifiés par les études d’association pangénomique (GWAS), leurs mécanismes fonctionnels restent largement obscurs. Ces loci se trouvent majoritairement dans des régions non codantes du génome, plutôt que dans les régions directement impliquées dans le codage des protéines. Ainsi, comprendre comment des événements post-transcriptionnels, comme l’épissage alternatif (Alternative Splicing, AS), influencent l’expression des gènes et les risques génétiques des maladies complexes devient crucial. L’épissage alternatif est un mécanisme clé pour réguler la fonction génétique et générer la diversité d’expression génomique, mais son rôle dans des types cellulaires spécifiques et contextes génétiques variés reste peu exploré.
De plus, les technologies à grande échelle de séquençage ARN à cellule unique (Single-Cell RNA Sequencing, scRNA-seq) fournissent une opportunité d’examiner sans biais les modèles d’expression génétique à l’échelle unicellulaire. Cette technologie peut explorer les caractéristiques de la régulation génomique dans différents types cellulaires au sein de populations humainement hétérogènes. Toutefois, les méthodes traditionnelles de scRNA-seq, en raison de leur biais vers l’extrémité 3’, limitent leur capacité à détecter les événements d’épissage alternatif avec une profondeur suffisante.
Pour combler ces lacunes, une équipe multidisciplinaire de recherche, composée d’institutions asiatiques, s’est concentrée sur l’exploration de l’épissage alternatif dans les cellules mononucléées du sang périphérique (PBMCs) et leurs relations avec les risques génétiques des maladies auto-immunes et inflammatoires. En exploitant efficacement une technologie de séquençage transcriptomique unicellulaire à biais 5’, ils ont analysé de manière exhaustive les dynamiques de régulation de l’épissage sous différents contextes cellulaires et génétiques.
Source de l’article
Cet article, intitulé « Single-cell RNA sequencing of peripheral blood links cell-type-specific regulation of splicing to autoimmune and inflammatory diseases », a été publié dans le numéro de décembre 2024 de la revue Nature Genetics. Il est le fruit d’une collaboration internationale réunissant des chercheurs de l’Université nationale de Singapour, du centre RIKEN, du Samsung Medical Center et d’autres instituts de recherche. L’étude, ancrée dans la diversité génétique des populations asiatiques, vise à disséquer les mécanismes de régulation génomique des maladies immunitaires à l’échelle de la cellule unique.
Processus de recherche
Génération des données et conception de l’étude
L’équipe de recherche a exploité des échantillons de sang périphérique de 474 donneurs sains issus de l’« Atlas de la diversité immunitaire asiatique » (Asian Immune Diversity Atlas, AIDA). Ces donneurs proviennent de diverses ethnies d’Asie de l’Est, du Sud-Est et du Sud (comme le Japon, Singapour et la Corée). En moyenne, 1 959 cellules uniques ont été échantillonnées par individu, générant ainsi près de 1 million de données transcriptomiques unicellulaires. En utilisant une technologie de scRNA-seq à biais 5’ et en tirant parti des phénomènes naturels de clivage et de recapping endogènes de l’ARNm, les chercheurs ont significativement élargi la couverture des exons du transcriptome, leur permettant une détection plus détaillée des variations d’épissage.
Une fois les données générées, les chercheurs ont classé 32 sous-types de PBMC et ont analysé les modèles d’épissage alternatif aux niveaux unicellulaire et pseudoglobal (pseudobulk). Ils ont ainsi identifié plusieurs événements de différence d’utilisation des exons (DSEs) et des milliers de loci de traits quantitatifs d’épissage (splicing quantitative trait loci, sQTL).
Analyse des données et méthodologie expérimentale
La recherche peut être subdivisée en plusieurs étapes clés :
1. Classification des types cellulaires et quantification des événements d’épissage alternatif
Grâce aux profils d’expression génique, l’équipe a identifié 34 types cellulaires PBMC, dont 21 sous-types cellulaires disposant d’échantillons suffisants. À l’échelle unicellulaire et pseudoglobale, les chercheurs ont quantifié les événements d’épissage alternatif via l’outil « SpliZ ». Les résultats montrent qu’en comparaison avec les méthodes traditionnelles de scRNA-seq biaisées vers l’extrémité 3’, la nouvelle méthode a détecté plus de 4 fois le nombre de gènes soumis à l’épissage.
2. Impact du sexe et de l’ethnicité sur l’épissage
L’étude a démontré que les différences de sexe et d’ethnicité exercent une influence significative sur les modèles d’utilisation des exons. Par exemple, dans des sous-types spécifiques de cellules T, un isoforme court du gène FLNA était significativement plus exprimé chez les femmes que chez les hommes. Par ailleurs, en analysant les DSEs entre ethnies, l’équipe a découvert que des régulations spécifiques de l’épissage étaient fortement corrélées aux variations de la fréquence des allèles dans les populations. Par exemple, le site d’épissage du gène SPSB2 est modifié par la variation rs11064437, affectant ainsi les préférences d’épissage.
3. Identification des cis-sQTLs et trans-sQTLs
En combinant la technologie de séquençage biaisée 5’ avec des modèles statistiques avancés, les chercheurs ont identifié 10 874 cis-sQTL pour les gènes codants et 703 pour les ARN longs non codants. En outre, 607 gènes trans-régulés (trans-sgenes) ont été détectés, qui sont influencés par des loci distants. En particulier, une relation régulatrice spécifique à certains sous-types de cellules T a été mise en évidence : l’expression de HNRNPLL influence de manière étendue l’épissage de PTPRC.
4. Analyse des associations et étude des mécanismes pathologiques
En procédant à des analyses de colocalisation, les chercheurs ont découvert que les effets des cis-sQTL sont fortement enrichis dans le risque génétique de nombreuses maladies auto-immunes (comme le lupus érythémateux systémique et la maladie de Graves). Par exemple, une variation spécifique à l’Asie au niveau du site d’épissage 5’ (rs74416240) entraîne une rétention intronique inactive au niveau de l’exon 4 du gène TCHP, et est fortement associée au risque de maladie de Graves. Une expérience de minigène (minigene) a confirmé que rs74416240 interfère directement avec l’épissage en perturbant le site d’épissage 5’.
5. Événements d’épissage dynamiques et développement des cellules B
L’étude a révélé des changements dynamiques dans les événements d’épissage au cours du développement des cellules B. Que ce soit via la variation du ratio des isoformes pour PAX5 (facteur de transcription spécifique aux cellules B) ou via les modifications d’épissage du gène PTPRC, ces résultats montrent des liens étroits entre expression génique et processus fonctionnels cellulaires.
Résultats et conclusions
Principales découvertes
Régulation spécifique de l’épissage selon le sexe et l’ethnicité
Les différences de sexe et de contexte génétique ont un impact significatif sur l’utilisation des exons, particulièrement pour des gènes clés liés à l’immunité (comme FLNA et SPSB2).Large étendue des cis-sQTLs et trans-sQTLs
L’étude révèle une abondance de signaux de régulation d’épissage dans des types cellulaires spécifiques. Par exemple, l’expression de HNRNPLL restructure largement l’épissage de PTPRC via des effets trans.Associations entre maladie et épissage
De nombreux loci cis-sQTL sont colocalisés avec des risques génétiques de maladies auto-immunes et inflammatoires. Notamment, le mécanisme pathologique d’un variant spécifique à l’Asie pour la maladie de Graves (rs74416240) a été élucidé.Régulations d’épissage dynamiques au cours du développement des cellules B
L’étude met en lumière des événements d’épissage dynamiques associés au développement des cellules B, ouvrant de nouvelles pistes pour explorer l’évolution fonctionnelle de ces cellules immunitaires.
Signification et implications
Cette étude, en disséquant l’épissage alternatif à l’échelle unicellulaire, met en évidence l’impact des variations de sexe et d’ethnicité et leurs liens avec la susceptibilité aux maladies. Les principaux points à retenir sont : - Innovation technologique : L’amélioration de la méthode scRNA-seq biaisée 5’ a considérablement augmenté la couverture des exons et la détection des événements d’épissage. - Diversité de l’échantillon : En s’appuyant sur des populations rarement étudiées d’Asie du Sud-Est et du Sud, cette étude enrichit substantiellement le corpus des recherches GWAS. - Nouvelles perspectives sur les mécanismes des maladies : En identifiant des mécanismes clés d’épissage dans des maladies comme la maladie de Graves et le lupus, l’étude approfondit notre compréhension des réseaux de régulation génétique.
En conclusion, cette recherche démontre le rôle fondamental de l’épissage alternatif dans la fonction immunitaire et les maladies, tout en posant les bases d’une médecine de précision davantage adaptée aux variations génétiques de diverses populations.