Anesthésie guidée par électroencéphalographie et délire chez les personnes âgées après une chirurgie cardiaque

Électroencéphalogramme Guidant l’Anesthésie et le Délire chez les Patients Âgés Après une Chirurgie Cardiaque

Contexte de l’étude

Le délire (Delirium) est une complication postopératoire fréquente chez les patients âgés, en particulier après une chirurgie cardiaque. Le délire peut entraîner une détérioration cognitive, prolonger la durée d’hospitalisation et augmenter les coûts médicaux. Les mesures préventives actuelles sont limitées, d’où l’appel à des recherches supplémentaires pour trouver des méthodes efficaces de prévention. Pendant l’anesthésie, un état anesthésique trop profond est considéré comme un facteur important de délire postopératoire. La suppression des ondes de l’électroencéphalogramme (EEG) est un biomarqueur de l’anesthésie profonde. Par conséquent, les chercheurs ont proposé d’utiliser l’anesthésie guidée par l’EEG pour réduire la profondeur de l’anesthésie, ce qui pourrait diminuer l’incidence du délire postopératoire.

Source de l’étude

Cette étude a été menée par le Groupe canadien des essais cliniques en anesthésie périopératoire (Canadian Perioperative Anesthesia Clinical Trials Group). Les principaux auteurs de l’étude incluent Alain Deschamps, MD, PhD, et Eric Jacobsohn, MD, ChB, entre autres. Entre décembre 2016 et février 2022, 1140 patients ont été recrutés, et l’étude s’est terminée en février 2023. Les résultats de cette étude ont été publiés dans le journal JAMA le 10 juin 2024.

Sujets et Méthodes de l’Étude

Conception de l’étude

Cette étude est un essai clinique multicentrique, en double aveugle pour les patients et les évaluateurs, randomisé et contrôlé. Quatre hôpitaux canadiens ont participé, la méthode de randomisation étant stratifiée par hôpital. Les patients ont été répartis aléatoirement en un rapport 1:1 pour recevoir soit l’anesthésie guidée par EEG, soit l’anesthésie conventionnelle. Le critère de jugement principal était l’incidence du délire entre le 1er et le 5ème jour postopératoire, avec enregistrement des jours d’hospitalisation en unité de soins intensifs (USI) et à l’hôpital, ainsi que d’autres événements indésirables graves (comme la conscience peropératoire, les complications médicales et le taux de mortalité à 30 jours).

Critères d’inclusion et d’exclusion

Les participants avaient 60 ans et plus, devaient subir une chirurgie cardiaque nécessitant une circulation extracorporelle. Les critères d’exclusion comprenaient la présence de délire préopératoire, la perte auditive, l’incapacité de lire ou d’écrire en anglais ou en français, et les patients ayant eu une conscience peropératoire antérieure.

Étapes de mise en œuvre

  1. Randomisation : Les patients ont été randomisés en deux groupes : anesthésie guidée par EEG (n=567) et anesthésie conventionnelle (n=573).
  2. Gestion de l’anesthésie : Les anesthésistes du groupe EEG ont utilisé une surveillance par EEG pour minimiser l’utilisation des agents anesthésiques volatils, tandis que les anesthésistes du groupe conventionnel n’ont pas utilisé cette surveillance.
  3. Collecte et analyse des données : Les chercheurs formés ont évalué quotidiennement les patients pour le délire postopératoire, en utilisant principalement la méthode d’évaluation de la confusion (Confusion Assessment Method, CAM) et la méthode CAM-ICU pour assurer l’objectivité et la cohérence des résultats.

Résultats de l’étude

Résultats principaux

  1. Incidence du délire : Entre le 1er et le 5ème jour postopératoire, 102 patients (18,15%) du groupe EEG ont présenté un délire, contre 103 patients (18,10%) du groupe conventionnel, sans différence statistiquement significative (différence de 0,05%, intervalle de confiance à 95% CI : -4,57% à 4,67%).
  2. Dose d’anesthésique et temps de suppression de l’EEG : La concentration alvéolaire minimale (MAC) médiane des agents anesthésiques volatils dans le groupe EEG était inférieure de 0,14 par rapport au groupe conventionnel (0,66 contre 0,80), et le temps de suppression de l’EEG a été réduit de 7,7 minutes (de 11,7 minutes à 4,0 minutes).

Résultats secondaires et événements indésirables

  1. Jours d’hospitalisation en USI et à l’hôpital : Les médianes des durées de séjour en USI et à l’hôpital étaient similaires dans les deux groupes.
  2. Conscience peropératoire et autres complications : Aucun patient n’a signalé de conscience peropératoire, le taux de complications médicales était de 11,3% dans le groupe EEG contre 12,7% dans le groupe conventionnel.
  3. Taux de mortalité à 30 jours : Le taux de mortalité à 30 jours était de 1,4% dans le groupe EEG, inférieur à celui du groupe conventionnel (2,3%).

Interprétation et analyse

Bien que l’anesthésie guidée par EEG ait réduit la profondeur de l’anesthésie et le temps de suppression de l’EEG, elle n’a pas pu réduire significativement l’incidence du délire postopératoire. L’impact sur d’autres critères de jugement secondaires (comme les jours d’hospitalisation en USI, les complications postopératoires, etc.) n’était également pas significatif. Cela suggère que l’anesthésie guidée par EEG n’apporte pas d’avantage notable pour ce type particulier de chirurgie et de patients.

Conclusion et valeur de l’étude

La conclusion de cette étude est que l’utilisation de l’anesthésie guidée par EEG chez les patients âgés subissant une chirurgie cardiaque n’a pas réduit l’incidence du délire postopératoire. Ceci est en désaccord avec certaines études antérieures de plus petite envergure et des résultats observés chez des patients non cardiaques, ce qui nécessite des recherches supplémentaires pour examiner l’efficacité de l’anesthésie guidée par EEG dans différents groupes de patients et types de chirurgies.

Points forts de l’étude

  1. Grande taille d’échantillon et conception multicentrique : Augmente la fiabilité et la généralisation des résultats.
  2. Conception rigoureuse en double aveugle : Réduit les biais potentiels.
  3. Contrôle précis de la profondeur de l’anesthésie : Bien que les résultats n’aient pas été ceux attendus, la méthodologie de l’étude a démontré un haut niveau d’application technique et de gestion des données.

Importance majeure

Cette étude a une importance significative pour la pratique clinique future, rappelant aux anesthésistes la nécessité de considérer d’autres stratégies de prévention du délire chez les patients âgés subissant une chirurgie cardiaque. Bien que l’anesthésie guidée par EEG n’ait pas réduit de manière significative l’incidence du délire, son contrôle précis de la profondeur de l’anesthésie reste utile pour comprendre et optimiser la gestion peropératoire.

Autres informations importantes

L’étude a également pris en compte l’impact potentiel du délire sur la fonction cognitive à long terme et prévoit de suivre l’état de santé à long terme de ces patients. Ces données fourniront une base pour des interventions plus efficaces à l’avenir.