Cartographie Multi-Omique des Réponses au Stress de l'Islet Pancréatique Humain et du Réticulum Endoplasmique Fournit des Indices Génétiques sur le Diabète de Type 2

Contexte et motivation de la recherche

À l’échelle mondiale, le diabète de type 2 (T2D) est une maladie métabolique courante, caractérisée par l’interaction des facteurs génétiques et environnementaux entraînant une dysfonction et/ou la mort des cellules β des îlots pancréatiques, ce qui conduit à une insuffisance de sécrétion d’insuline. Grâce aux découvertes des études d’association à l’échelle du génome (GWAS), on sait que plus de 600 loci du génome humain sont associés au risque de T2D, dont de nombreux se trouvent dans des régions non codantes. Il a été découvert que les variations dans ces régions non codantes peuvent influencer la fonction et l’expression des gènes effecteurs des éléments cis-régulateurs (CREs) spécifiques aux îlots, conduisant ainsi à une dysfonction des îlots. Cependant, peu est connu à ce jour sur le rôle de ces variations génétiques dans le stress du réticulum endoplasmique (ER) pathologique et l’inflammation induite par les cytokines pro-inflammatoires. L’équipe de recherche, provenant du Laboratoire Jackson pour la médecine génomique et de l’Université du Connecticut, a publié ses travaux dans la revue « Cell Metabolism » (le 5 novembre 2024) afin de combler cette lacune de connaissances, en analysant les réseaux de régulation transcriptionnelle des îlots humains sous le stress de l’ER et l’action des cytokines pro-inflammatoires via des approches multi-omiques, dans le but de dévoiler les mécanismes pathogènes potentiels de ces variations et de proposer de nouvelles perspectives pour les cibles médicamenteuses du T2D.

Origine de la recherche

Cette étude a été réalisée par Eishani K. Sokolowski, Romy Kursawe, Vijay Selvam et al., affiliés au Laboratoire Jackson pour la médecine génomique et au Centre de santé de l’Université du Connecticut, sous la direction principale de Duygu Ucar et Michael L. Stitzel. L’article a été publié dans la revue « Cell Metabolism » et a été financé par le ministère de la Défense des États-Unis et l’American Diabetes Association.

Processus de recherche

Cette étude a utilisé des techniques multi-omiques, y compris le séquençage de l’ARN (RNA-seq), le séquençage de l’ARN à cellule unique (scRNA-seq) et l’analyse de l’accessibilité de la chromatine par ATAC-seq, pour analyser systématiquement les réponses au stress des îlots humains provenant de donneurs non diabétiques sous l’effet du stress de l’ER et des cytokines.

  1. Conception expérimentale et traitement des échantillons d’îlots
    Les sujets de l’étude étaient les cellules des îlots de plusieurs donneurs non diabétiques, divisées en deux groupes de conditions expérimentales : l’un traité avec l’inducteur de stress de l’ER, le thapsigargine, et l’autre avec des cytokines pro-inflammatoires (IL-1β et IFN-γ), chaque groupe ayant son groupe témoin respectif. Chaque condition de traitement a duré 24 heures, et le séquençage de l’ARN de l’île entière a été effectué pour chaque état cellulaire afin d’analyser les changements d’expression à l’échelle du génome.

  2. Analyse transcriptomique
    Les résultats du séquençage de l’ARN ont montré qu’environ 30% des gènes exprimés par les îlots et 14% des CREs des îlots ont répondu aux traitements de stress de l’ER et des cytokines. L’étude a constaté que ces gènes et CREs de réponse au stress sont spécifiques au stress. Par exemple, 85% des gènes ont présenté des réponses uniques selon le type de stress. Le stress de l’ER a significativement induit des gènes liés à la réponse aux protéines mal repliées (UPR) et au traitement des protéines de l’ER (comme ATF4, DDIT3), tandis que le traitement par cytokines a principalement activé les voies de signalisation inflammatoires associées au NF-κB.

  3. Séquençage RNA à cellule unique et réponse spécifique au type cellulaire
    Pour explorer la réponse au stress des différents types cellulaires, cette étude a mené un séquençage RNA à cellule unique. Les résultats ont montré que, comparés aux cellules α, les cellules β ont eu une réponse plus forte au stress de l’ER, et cette réponse au stress des cellules β présente une hétérogénéité, formant deux états transcriptionnels différents, dont l’un est plus susceptible de subir l’apoptose. Les cellules α ont réagi de manière relativement faible au traitement par cytokines, indiquant que les différents types de cellules d’îlots ont des modes de réponse spécifiques sous les conditions de stress pathologiques du T2D.

  4. Analyse ATAC-seq et régulation dynamique des CREs
    Grâce à la technologie ATAC-seq, la mesure de l’ouverture des CREs a révélé qu’environ 14% des CREs sont significativement reconfigurés sous conditions de stress, avec 7171 CREs spécifiques au stress de l’ER et 8819 spécifiques aux cytokines. La majorité des CREs répondant se trouvent dans des régions non codantes distales, ce qui suggère que ces enhancers jouent un rôle crucial en tant que facteurs de régulation de la réponse au stress des cellules d’îlots. De plus, l’ouverture des CREs est significativement corrélée à l’expression spécifique de gènes induits par le stress.

  5. Analyse de chevauchement des variations de risque T2D avec les CREs
    L’étude a comparé les variations de risque T2D marquées par GWAS avec les CREs répondant au stress et a identifié 161 variations de risque T2D qui chevauchent les CREs répondant au stress. Ces variations pourraient influencer la survie des cellules d’îlots sous stress en régulant les niveaux de transcription des gènes associés.

Résultats de la recherche

  1. Spécificité des réponses des gènes et des CREs au traitement ER et cytokines
    L’étude a montré que les cellules d’îlots présentent des réponses spécifiques des gènes et des CREs sous différentes conditions de stress, le stress de l’ER induisant des voies liées à l’UPR et à la synthèse des protéines, tandis que le traitement par cytokines a activé diverses voies de signalisation inflammatoires.

  2. Hétérogénéité de la réponse au stress des cellules β
    Le séquençage RNA à cellule unique a révélé que les cellules β présentent deux états transcriptionnels distincts sous stress de l’ER, l’un étant plus susceptible à l’apoptose, ce qui pourrait être une des raisons pour lesquelles les cellules β sont perdues dans le T2D.

  3. Reconfiguration des CREs sous conditions de stress et spécificité de liaison des facteurs de transcription
    L’analyse ATAC-seq a révélé des changements d’ouverture significatifs dans de nombreux CREs distaux sous conditions de stress et un enrichissement en sites de liaison de facteurs de transcription clés. Les CREs liés au stress de l’ER sont enrichis en sites de liaison pour les facteurs de transcription ATF4, CHOP, tandis que ceux induits par les cytokines sont enrichis en sites de liaison pour les facteurs pro-inflammatoires IRF8, NF-κB-p65.

  4. Fonction régulatrice des variations T2D spécifiques dans les CREs répondant au stress
    L’étude a pris l’exemple du rs6917676 pour montrer comment son allèle de risque T2D favorise l’ouverture des CREs sous stress de l’ER, conduisant à une expression accrue de MAP3K5 et à une augmentation du taux d’apoptose des cellules β. Cela suggère que le rs6917676 pourrait avoir un rôle dans la progression pathologique du T2D en régulant MAP3K5.

Conclusion et importance de la recherche

Cette étude a révélé de manière systématique, grâce à des approches multi-omiques, le réseau de régulation transcriptionnelle des îlots humains sous conditions de stress de l’ER et d’inflammation induite par des cytokines pro-inflammatoires, révélant la fonction des variations de risque T2D sous ces conditions de stress. Notamment, l’étude indique que l’allèle rs6917676 pourrait induire l’apoptose des cellules β en augmentant l’expression de MAP3K5, fournissant ainsi une base théorique pour le développement de cibles thérapeutiques du T2D basées sur MAP3K5. Par exemple, l’inhibiteur de MAP3K5, selonsertib, a montré un potentiel pour ralentir l’apoptose cellulaire liée au diabète dans des modèles animaux, suggérant qu’il pourrait devenir une option thérapeutique efficace pour protéger la fonction β-cellulaire. De plus, cette recherche soutient la valeur d’étudier la réponse au stress des variations associées au T2D dans les états cellulaires spécifiques à la maladie.

Originalité et perspectives de la recherche

Cette étude est la première à comparer systématiquement les changements dynamiques de l’expression génique et des CREs dans les îlots sous conditions de stress d’ER et de cytokines pro-inflammatoires, révélant la fonction régulatrice des variations spécifiques au T2D en état de stress. Les recherches futures pourraient explorer davantage les interactions entre d’autres facteurs de stress liés au T2D (comme le stress oxydatif) et les variations génétiques, fournissant ainsi plus de cibles pour la recherche mécanistique sur le T2D et le développement de médicaments.

Les résultats de cette étude fournissent d’importants aperçus sur les mécanismes génomiques et les réseaux de régulation transcriptionnelle impliqués dans le développement du T2D, suggérant de considérer des interventions spécifiques au stress basées sur le contexte génétique dans le traitement du T2D, afin d’améliorer la fonction des îlots et de ralentir la progression de la maladie.