Analyse du génome entier du fibrinogène plasmatique révélant des régulateurs génétiques différenciés par la population avec des rôles hépatiques présumés
Analyse du génome entier du fibrinogène plasmatique révèle des régulateurs génétiques différentiés selon les populations et leurs rôles putatifs dans le foie
Contexte académique
Le fibrinogène est un facteur clé dans la coagulation et une protéine répondant à la phase aiguë. En conditions normales, le fibrinogène est abondant dans la circulation sanguine, mais lors d’une réponse inflammatoire aiguë, les cascades transcriptionnelles médiées par l’interleukine-6 (IL-6) et IL-1 augmentent ses niveaux jusqu’à trois fois au-dessus de la normale. Les niveaux de fibrinogène constituent un indicateur clinique pour les maladies thrombotiques, telles que la maladie coronarienne, l’infarctus du myocarde, la thromboembolie veineuse et l’accident vasculaire cérébral ischémique. Bien que des modèles animaux aient prouvé une relation causale entre le fibrinogène et la thrombose, cette relation reste difficile à confirmer dans les études génétiques humaines.
L’héritabilité des niveaux de fibrinogène est estimée entre 21 % et 67 %, avec des estimations majoritaires oscillant entre 30 % et 50 %, mais avec une hétérogénéité selon les populations. Les personnes afro-américaines présentent des niveaux basaux de fibrinogène plus élevés, et leur héritabilité semble supérieure à celle des populations blanches non hispaniques. Bien que des études de séquençage génomique et exomique aient identifié plusieurs loci liés au fibrinogène, ces variantes ne peuvent expliquer que 3,7 % maximum des variations observées dans les populations européennes. Les mécanismes génétiques d’influence du fibrinogène dans d’autres populations restent peu compris.
Contrairement aux puces de génotypage, qui offrent une meilleure couverture des variantes courantes dans les populations européennes, le séquençage du génome entier (WGS) permet une exploration génomique non ciblée dans toutes les populations. Le WGS améliore la détection des variantes rares et de faible fréquence, tout en permettant de distinguer plusieurs signaux dans une même région. Cette étude intègre des données du programme “Trans-Omics for Precision Medicine” (TOPMed) de la National Heart, Lung, and Blood Institute (NHLBI) et des données de génotypage du consortium CHARGE pour identifier de nouvelles variantes génétiques liées aux niveaux de fibrinogène plasmatique.
Origine de l’article
Cet article a été co-écrit par Jennifer E. Huffman, Jayna Nicholas, Julie Hahn, et divers chercheurs issus de nombreux instituts de recherche renommés, et publié dans la revue Blood le 21 novembre 2024 (vol. 144, n°21). Les chercheurs appartiennent à des institutions telles que le Palo Alto VA Institute for Research, l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, et l’Université de Texas Health Science Center à Houston, entre autres.
Processus de recherche
1. Conception de l’étude et échantillons
L’étude a exploré l’architecture génétique des niveaux circulants de fibrinogène à travers une analyse d’association génomique à l’échelle des populations (GWAS), une étude d’association transcriptomique (TWAS) et une étude d’association phénotypique (PheWAS). Au total, 163 912 participants ont été inclus, répartis selon l’origine : 11 283 d’ascendance africaine, 741 d’ascendance asiatique, 149 619 d’ascendance européenne et 2 061 hispaniques. Les niveaux de fibrinogène ont été mesurés en utilisant la méthode Clauss ou d’autres techniques comme l’immunoturbidimétrie.
2. Séquençage du génome entier et génotypage
Les données WGS proviennent du programme TOPMed, d’un nombre total de six centres de séquençage, avec une profondeur moyenne >30×. Les données de génotypage des études non-TOPMed ont été imputées en utilisant soit le panneau de référence TOPMed, soit le Haplotype Reference Consortium (HRC).
3. Analyse des données
- Analyse par variante unique : des modèles mixtes ont été utilisés pour analyser les variantes uniques, ajustés pour des paramètres tels que l’âge, le sexe, l’origine ethnique et les caractéristiques spécifiques aux études.
- Analyse conditionnelle : réalisée avec COJO-SLCT afin de calculer des ensembles de crédibilité à 95 %.
- Annotation fonctionnelle : l’outil Ensembl VEP (Predictor d’effets de variations) a été utilisé pour annoter les variantes quant à leurs effets fonctionnels sur l’expression ou le codage.
- Analyse de colocalisation : FASTENLOC a été utilisé pour identifier les bases génétiques communes entre les loci associés et les eQTL (quantitative trait loci liés à l’expression génétique).
- Étude d’association transcriptomique : S-PrediXcan a été utilisé pour explorer les variations cis liées à l’expression génique et détecter leur corrélation avec les niveaux de fibrinogène.
- Étude d’association phénotypique : une PheWAS a été conduite dans le cadre du programme VA Million Veteran Program (MVP), en utilisant des scores de risque génétique (PRS) pour évaluer les associations entre les loci génétiques du fibrinogène et des pathologies thrombotiques et inflammatoires.
Principaux résultats
1. Analyse par variante unique
L’analyse multipopulation a identifié 54 loci génétiques associés aux niveaux de fibrinogène circulants. Parmi eux, 18 étaient des loci nouveaux. Ces loci renferment 69 variantes indépendantes, dont 20 étaient nouvelles. Au sein du cluster génétique du fibrinogène (FGG, FGB, FGA), 7 signaux distincts ont été identifiés, dont un nouveau signal (rs28577061), particularité des populations d’ascendance africaine.
2. Annotation fonctionnelle
La majorité des signaux identifiés contiennent des variantes déjà associées à des enzymes hépatiques, lipides et traits liés aux cellules sanguines. Un total de 23 variantes était lié aux niveaux de CRP (protéine C-réactive). 18 signaux incluaient au moins une variation missense, tandis que 13 signaux portaient des variations jugées délétères (CADD score >20). 52 signaux se superposaient à des régions actives de la chromatine dans les échantillons hépatiques (HepG2).
3. Analyse de colocalisation
L’analyse a identifié 153 paires variante-tissu avec des probabilités élevées (>0.1) de colocalisation génétique. De plus, 46 régions-tissus impliquant la régulation de 41 gènes distincts ont montré des signes forts de colocalisation statistique.
4. Étude d’association transcriptomique
L’analyse TWAS a identifié 64 paires gène-tissu significativement associées aux niveaux de fibrinogène dans les artères, le foie et le sang entier. Parmi elles, 15 gènes ont été reconnus comme causalement probables après analyse fine (fine mapping). TNKS, régulé dans le foie, et des gènes supplémentaires (AFT1, C5orf56, etc.) ont été mis en évidence.
5. Étude d’association phénotypique
PheWAS a montré des associations attendues entre les PRS du fibrinogène et les pathologies thrombiques (thrombose veineuse profonde) ou inflammatoires (goutte). Cependant, certaines associations inattendues ont émergé, comme l’augmentation du risque de goutte associée à des niveaux génétiquement prédits élevés de fibrinogène.
Conclusion
Cette étude a permis l’identification de 69 variantes indépendantes réparties dans 54 loci, associées aux niveaux de fibrinogène circulant. Elle met en lumière, pour la première fois, une association entre certaines variations communes des populations africaines et le fibrinogène. De plus, plusieurs de ces signaux convergent avec des éléments de régulation spécifiques au foie, suggérant des rôles potentiels liés au métabolisme hépatique et à l’inflammation.
Faits marquants de l’étude
- Nouvelles découvertes : Identification de 18 nouveaux loci, comprenant 20 variantes inédites.
- Différenciation selon les populations : Découverte de variantes caractéristiques à certaines ethnies auparavant sous-représentées.
- Mécanismes hépatocentriques : Indices suggérant que de nombreuses variantes influencent le métabolisme du fibrinogène via des voies spécifiques au foie.
- Implications cliniques potentielles : Les résultats révèlent des cibles pour la prévention et le traitement des maladies thrombotiques et inflammatoires.
Implications
Les résultats exposés dans cette étude enrichissent notre compréhension des mécanismes génétiques complexes qui régulent le fibrinogène, en mettant un accent particulier sur les différences interethniques. Ces dernières encouragent des études futures ciblées et basées sur des populations diversifiées, offrant des perspectives prometteuses pour une médecine plus inclusive et personnalisée.