Profilage transcriptomique spatial identifiant DTX3L et BST2 comme biomarqueurs clés dans la tumorigenèse du carcinome épidermoïde de l'œsophage

Étude du profil transcriptomique spatial révélant que DTX3L et BST2 jouent un rôle clé dans la tumorigenèse du carcinome épidermoïde de l’œsophage

Contexte et problématique de recherche

Le cancer de l’œsophage (EC) est une maladie tumorale mondialisée dont le taux de prévalence et de mortalité reste élevé. Le carcinome épidermoïde de l’œsophage (CEEO) constitue la sous-catégorie histologique la plus fréquente dans les populations asiatiques. Du fait de sa progression rapide, de sa résistance aux traitements et de son taux élevé de métastases, le pronostic des patients est extrêmement défavorable. La détection et le traitement précoces du CEEO sont devenus les éléments clés pour réduire le taux de mortalité. Cependant, les mécanismes cellulaires et moléculaires sous-jacents à l’initiation et au développement précoce du CEEO restent en grande partie méconnus, notamment l’évolution progressive des tissus normaux vers les lésions de dysplasie de bas grade, de haut grade, et finalement le cancer invasif.

La plupart des recherches actuelles se concentrent sur le comportement des cellules tumorales dans le CEEO, tout en négligeant les interactions entre le microenvironnement tumoral (MET) et ces cellules. Des études récentes ont montré que l’évolution d’un cancer est en grande partie déterminée par l’efficacité globale de tout l’écosystème cellulaire plutôt que par les seules cellules tumorales. Par ailleurs, en raison de la perte des informations de localisation spatiale et des interactions intracellulaires, les méthodes classiques telles que le séquençage d’ARN en vrac (Bulk RNA-Seq) et le séquençage d’ARN unicellulaire (scRNA-seq) présentent des limites notables dans l’analyse des rôles du microenvironnement tumoral. Par conséquent, recourir à des techniques avancées de transcriptomique spatiale pour explorer le remodelage moléculaire et les changements dans l’écosystème immunitaire à travers diverses régions histologiques est crucial pour approfondir la compréhension des mécanismes cancéreux et développer de nouvelles cibles thérapeutiques.

Source de l’étude

Cet article a été rédigé par plusieurs auteurs, dont Rutao Li, et regroupe des chercheurs de plusieurs institutions, notamment le Premier Hôpital affilié à l’Université de Soochow, le Quatrième Hôpital affilié, ainsi que le Centre d’ingénierie technologique de Shenzhen. L’article a été publié en 2024 dans la revue Genome Medicine, sous le titre « Spatial transcriptome profiling identifies DTX3L and BST2 as key biomarkers in esophageal squamous cell carcinoma tumorigenesis ».

Objectifs et méthodologie

Cet article utilise des technologies de profilage spatial transcriptomique numérique (Nanostring GeoMx DSP) et de transcriptomique spatiale unicellulaire (CosmX SMI) afin d’explorer les transformations moléculaires et immunologiques des tissus au cours de la progression tumorale dans le CEEO. L’objectif principal est d’identifier les biomarqueurs cliniquement pertinents et d’explorer leur rôle potentiel dans des approches thérapeutiques.

Les méthodologies suivantes ont été utilisées pour atteindre ces objectifs :

  1. Analyse des échantillons multirégionaux : Les tissus de 11 patients atteints de CEEO de stade précoce (PT1) ont été soumis à la technologie DSP, permettant d’étudier le profil transcriptomique au niveau de quatre stades progressifs : tissu normal, dysplasie de bas grade, dysplasie de haut grade, et cancer.

  2. Partitionnement spatial : Les analyses segmentent les données dans des compartiments moléculaires spécifiques (cellules épithéliales, cellules immunitaires et stromales non immunitaires) afin d’évaluer les altérations moléculaires dans chaque compartiment.

  3. Validation complémentaire : Les résultats ont été corroborés par d’autres méthodologies, notamment l’imagerie moléculaire spatiale unicellulaire (SMI), l’immunohistochimie (IHC), et l’analyse en profondeur des données publiques d’ARN-seq de grande envergure et de séquençage unicellulaire.

  4. Études fonctionnelles in vitro et in vivo : L’effet fonctionnel des gènes candidats (DTX3L et BST2) sur les cellules tumorales du CEEO a été évalué en utilisant des expériences de knockdown via ARN interférent (sh/sirRNA) et des tests fonctionnels dans des modèles murins.

Résultats de l’étude

Le profilage spatial révèle des modifications moléculaires et immunitaires dynamiques

Cette étude est la première à analyser en parallèle les compartiments épithéliaux, immunitaires et stromaux à divers stades de la progression tumorale dans le CEEO. Voici les principaux résultats :

  1. Remodelage moléculaire : Augmentation progressive de l’expression de certains gènes liés au cancer (e.g. DTX3L, SLC1A5) dans les cellules épithéliales. Dans les cellules stromales, une reprogrammation majeure des gènes immunorégulateurs (e.g. BST2) a été observée.

  2. Altérations des voies biologiques : Les analyses des voies signalétiques montrent des altérations nettes dans les processus de prolifération cellulaire, de réparation des dommages à l’ADN, et des fonctions mitochondriales au niveau des compartiments épithéliaux. Dans les compartiments stromaux, des voies de réponse inflammatoire et immunitaire (type II Interférons, IL-6, IL-10) ont été significativement activées à travers le temps.

  3. Microenvironnement immunitaire suppressif : Une augmentation notable des macrophages associés aux tumeurs (type M2) et des cellules T régulatrices immunosuppressives a été détectée. Ces populations jouent un rôle clé dans le soutien de la tumorigenèse.

Identification d’interactions cellulaires clés et de nouveaux marqueurs potentiels

Les analyses unicellulaires spatiales corroborent une augmentation significative des interactions entre les cellules tumorales épithéliales et les macrophages via la voie MIF-(CD74+CXCR4). Cette voie signalétique est active dans les tissus cancéreux, facilitant leur progression. MIF (Macrophage Migration Inhibitory Factor) apparaît ainsi comme une cible thérapeutique prometteuse.

Deux biomarqueurs émergent comme étant cruciaux pour le suivi et le traitement du CEEO : - DTX3L : Surexprimé dans les cellules épithéliales tumorales, son inhibition réduit significativement la prolifération et la migration des cellules tumorales. - BST2 : Exprimé majoritairement dans le compartiment stromal, il est fortement associé à la polarisation des macrophages TAMs vers le phénotype M2 immunosuppressif.

Validation fonctionnelle des candidats DTX3L et BST2
  1. Effet de DTX3L sur la progression tumorale : Les expériences de knockdown montrent une réduction de la croissance et de la migration des cellules tumorales du CEEO in vitro. In vivo, les modèles murins présentant un knockdown de DTX3L ont développé des tumeurs significativement plus petites.

  2. BST2 régule la polarisation des macrophages : Le knockdown de BST2 ou son inhibition via des anticorps anti-BST2 a considérablement réduit la proportion de macrophages M2 (immunosuppressifs) détectés par cytométrie en flux et IHC. Les environnements conditionnés inhibés en BST2 ont significativement réduit la prolifération et la migration des cellules tumorales.

Implications et perspectives

Cette étude propose un cadre robuste pour identifier de nouveaux biomarqueurs spatiaux dans la progression tumorale du CEEO. Voici ses principales contributions potentielles :

  1. Innovation méthodologique : En introduisant des technologies DSP et SMI pour étudier les compartiments moléculaires spécifiques des tissus, elle surmonte les limites des analyses transcriptomiques classiques.

  2. Application clinique potentielle : En particulier, les anticorps anti-BST2 montrent un potentiel thérapeutique prometteur, comme cela a été observé dans d’autres cancers solides.

  3. Recommandations pour de futures études : Cette étude souligne la valeur d’intégrer des analyses multiomiques pour mieux décrypter l’impact des altérations génétiques et épigénétiques.

Conclusion

L’étude présente une caractérisation innovante et approfondie de la progression tumorale dans le carcinome épidermoïde de l’œsophage. Elle met en lumière de nouveaux biomarqueurs comme DTX3L et BST2, offre des cibles thérapeutiques potentielles et illustre comment de nouvelles approches méthodologiques peuvent guider la recherche en oncologie pour le diagnostic précoce et les traitements personnalisés.