Analyse intégrée de la méthylation de l'ADN sanguin, des variantes génétiques, des protéines circulantes, des microARN et de l'insuffisance rénale chez les diabétiques de type 1

Analyse intégrative de la méthylation de l’ADN sanguin, des variations génétiques, des protéines circulantes, des petits ARN et de l’insuffisance rénale dans le diabète de type 1

Contexte de l’étude

La néphropathie diabétique (Diabetic Kidney Disease, DKD) est l’une des principales complications du diabète de type 1 (Type 1 Diabetes, T1D). Environ 40 % des patients atteints de T1D développeront une DKD, et 10 % à 15 % d’entre eux progresseront finalement vers une insuffisance rénale nécessitant une dialyse ou une transplantation (Kidney Failure, KF). Les marqueurs cliniques actuels ne permettent pas de prédire de manière adéquate l’occurrence de l’insuffisance rénale, d’où la nécessité de recherches supplémentaires pour découvrir les mécanismes sous-jacents à cette progression et ainsi développer des thérapies ciblées et identifier des biomarqueurs de prévention pour une intervention rapide.

La méthylation de l’ADN (DNA Methylation, DNAm) est l’une des modifications épigénétiques les plus stables, se produisant généralement aux sites CpG (liaisons cytosine-phosphate-guanine). Des études précédentes ont montré que les variations de la méthylation de l’ADN sont associées au diabète et à ses complications. Cependant, les mécanismes précis reliant ces variations de la méthylation de l’ADN mesurées dans les cellules sanguines et le risque d’insuffisance rénale restent incertains. Cette incertitude freine le potentiel de la méthylation de l’ADN des cellules sanguines pour des applications en médecine personnalisée.

Pour résoudre ces problèmes, les auteurs ont mené une étude intégrative combinant diverses données omiques telles que la méthylation de l’ADN, les variations génétiques, les protéines circulantes et les microARNs, afin d’explorer les associations entre ces facteurs et l’insuffisance rénale.

Auteurs et origine

Cet article a été rédigé par Zhuo Chen, Eiichiro Satake, Marcus G. Pezzolesi et d’autres, provenant de City of Hope, Joslin Diabetes Center, University of Utah, NIH, Folkhälsan Research Center, Helsinki University, Monash University et University of Virginia. Les résultats de cette recherche ont été publiés dans le journal Science Translational Medicine le 22 mai 2024.

Méthodologie et processus de l’étude

Conception de l’étude

L’étude a inclus 277 patients atteints de diabète de type 1 ayant une néphropathie diabétique au début de l’étude. Pendant le suivi (de 7 à 20 ans), 142 patients (51,3%) ont progressé vers une insuffisance rénale. Les niveaux de méthylation de l’ADN dans les cellules sanguines de ces patients ont été mesurés à l’aide de la puce Epic d’Illumina. Une étude d’association de l’épigénome entier (EWAS) a été réalisée pour analyser les associations génome-large entre la méthylation et le risque d’insuffisance rénale. De plus, une analyse intégrative multi-omics a exploré les liens entre la méthylation de l’ADN, les variations génétiques, les protéines circulantes, les microARNs et le risque d’insuffisance rénale.

Processus de l’étude

  1. Collecte des échantillons et mesure de la méthylation de l’ADN : Extraction de l’ADN de l’échantillon de sang total de 277 patients atteints de néphropathie diabétique et mesure des niveaux de méthylation de l’ADN utilisant l’Illumina Infinium MethylationEpic BeadChip.

  2. Étude d’association épigénomique (EWAS) : Analyse de l’association entre les niveaux de méthylation de 846 816 sites CpG et le risque d’insuffisance rénale en utilisant un modèle de risques proportionnels de Cox univarié, suivi d’une validation avec un modèle de Cox multivarié pour confirmer les associations indépendantes.

  3. Analyse intégrative multi-omics : Exploration des relations entre la méthylation de l’ADN, les variations génétiques, les protéines circulantes, les microARNs et le risque d’insuffisance rénale, et vérification de la stabilité temporelle des niveaux de méthylation pour leur potentiel comme biomarqueurs prédictifs.

  4. Construction de modèles prédictifs : Élaboration d’un nouveau modèle prédictif combinant les données de méthylation de l’ADN et évaluation de sa performance par rapport aux modèles cliniques traditionnels.

Résultats de l’étude

  1. Association entre la méthylation de l’ADN et le risque d’insuffisance rénale : L’analyse EWAS a identifié 17 sites CpG de méthylation de l’ADN associés au risque d’insuffisance rénale. Ces sites ont montré une grande stabilité temporelle, ce qui en fait de potentiels biomarqueurs prédictifs stables.

  2. Stabilité de la méthylation de l’ADN aux sites CpG : Chez 68 patients (dont la moitié a progressé vers l’insuffisance rénale lors du suivi), les niveaux de méthylation des 17 sites CpG associés à l’insuffisance rénale ne montraient pas de différences significatives entre les échantillons précoces et tardifs, confirmant leur stabilité.

  3. Association entre les variations génétiques et la méthylation de l’ADN : L’intégration des données de variations génétiques et de méthylation de l’ADN a révélé que la méthylation de sept sites CpG était significativement influencée par des variations génétiques. Certains de ces sites étaient également rapportés dans d’autres études comme associés aux variations de la fonction rénale.

  4. Médiation par les protéines circulantes et les microARNs : La méthylation de l’ADN influe indirectement sur le risque d’insuffisance rénale par la régulation des protéines circulantes et des microARNs. Par exemple, la méthylation du site cg12075771 pourrait augmenter le risque d’insuffisance rénale par la régulation de l’expression de plusieurs protéines circulantes (comme KIM1 et DLL1).

  5. Optimisation des modèles prédictifs : Le nouveau modèle prédictif intégrant les données de méthylation de l’ADN a montré une précision accrue (C-statistic=0.93) par rapport aux modèles cliniques traditionnels (C-statistic=0.85).

Conclusion de l’étude

Cette étude intégrative multi-omics montre comment la méthylation de l’ADN, influencée par des variations génétiques, les protéines circulantes et les microARNs, impacte la progression vers l’insuffisance rénale chez les patients diabétiques de type 1. En plus d’élargir notre compréhension des mécanismes de la progression de la DKD, elle démontre le potentiel de la méthylation des cellules sanguines comme biomarqueur prédictif pour l’insuffisance rénale. Des recherches futures pourront valider ces découvertes et développer des stratégies d’intervention personnalisées basées sur ces biomarqueurs.

Points forts de l’étude

  • Intégration multi-omics : Première utilisation combinant méthylation de l’ADN, variations génétiques, protéines circulantes et microARNs pour explorer systématiquement les relations avec le risque d’insuffisance rénale.
  • Optimisation du modèle prédictif : Amélioration significative de la précision des modèles prédictifs de risque d’insuffisance rénale par l’intégration des données de méthylation de l’ADN, offrant de nouvelles possibilités pour une alerte précoce clinique et une intervention.
  • Stabilité des biomarqueurs : Validation de la stabilité temporelle de 17 sites CpG associés à l’insuffisance rénale, renforçant leur potentiel comme biomarqueurs prédictifs à long terme.

Cette recherche offre de nouvelles perspectives et outils pour la prévention précoce et la gestion de l’insuffisance rénale chez les patients diabétiques de type 1, avec des implications significatives pour la médecine personnalisée dans le cadre des complications du diabète.