L'empreinte épigénétique induite par l'inflammation régule les cellules souches intestinales

Inflammation-Induced Epigenetic Imprinting and Intestinal Stem Cell Regulation

Ces dernières années, la communauté scientifique s’est fortement intéressée à la capacité de “mémoire” des cellules non immunitaires, en particulier au phénomène par lequel certaines cellules souches dans les tissus adultes acquièrent une mémoire après avoir subi une inflammation, ce qui influence leur fonction. Cependant, il n’est pas encore clair si cette mémoire inflammatoire s’applique également aux cellules souches gastro-intestinales et comment elle affecte leur capacité de régénération et de réparation. C’est pour explorer cet aspect inconnu que Zhao et ses collègues, issus d’institutions telles que Baylor College of Medicine, University of Michigan, et MD Anderson Cancer Center, ont publié une étude novatrice. Celle-ci se concentre sur la réponse adaptative des cellules souches intestinales (ISCs) LGR5+ lors d’une maladie de l’hôte contre le greffon gastro-intestinale (GI GVHD), et révèle comment l’exposition à l’inflammation induit un remodelage épigénétique via des voies métaboliques, impactant leur fonction régénérative.

Cet article a été publié le 3 octobre 2024 dans le journal « Cell Stem Cell ». L’étude utilise un ensemble de techniques de pointe, telles que la transcriptomique unicellulaire, l’analyse métabolique, la culture d’organoïdes et le séquençage de l’épigenome, pour élucider en détail comment les ISCs subissent une reprogrammation métabolique et épigénétique suite à une agression inflammatoire médiée par des cellules T, et expliquer le dommage persistant à leur fonction régénérative.

L’impact de l’inflammation et des changements métaboliques sur les cellules souches intestinales

Contexte et protocole expérimental

Dans la transplantation de cellules souches hématopoïétiques allogéniques (allo-HSCT), la GI GVHD est une complication fréquente et mortelle. Sa pathologie implique le déclenchement d’une réponse inflammatoire, notamment une attaque immunitaire médiée par les cellules T, qui détruit les cellules épithéliales de l’hôte, y compris les ISCs LGR5+ intestinales. Zhao et ses collègues, sur la base de ce contexte, ont utilisé l’analyse transcriptomique unicellulaire et des modèles animaux pour explorer l’impact durable de l’exposition inflammatoire sur le métabolisme et l’épigénome des ISCs LGR5+.

L’étude commence par isoler des cellules épithéliales des cryptes intestinales dans des modèles murins de greffe de cellules souches hématopoïétiques allogéniques (allo, Balb/c -> B6) et syngéniques (syn, B6 -> B6), pour réaliser un séquençage de l’ARN unicellulaire (scRNA-seq) afin d’identifier les ISCs LGR5+ affectées par l’inflammation. L’analyse utilise UMAP pour cartographier différents clusters, en se concentrant sur l’expression génétique du gène LGR5, identifiant et comparant les différences d’expression génique entre les ISCs LGR5+ des souris allo et syn.

Changements métaboliques et reprogrammation épigénétique des ISCs LGR5+

L’analyse a révélé que les ISCs LGR5+ survivant après GVHD présentaient des changements significatifs dans les voies métaboliques, notamment une réduction notable lors du processus de phosphorylation oxydative (oxphos), accompagnée d’une accumulation de succinate. Ce changement métabolique a provoqué une reprogrammation de la méthylation de l’ADN des ISCs LGR5+. Des techniques de qPCR et de Western blot ont confirmé ces résultats, montrant que les changements métaboliques induisent des altérations épigénétiques qui affectent durablement la capacité de régénération et de différenciation des ISCs.

Support de données expérimentales et analyse des résultats

Dans des expériences in vitro ultérieures, les chercheurs ont utilisé la technique de culture d’organoïdes intestinaux pour simuler la fonction des ISCs in vivo. L’étude a révélé que le nombre et le ramification des organoïdes chez les souris GVHD étaient significativement réduits, indiquant un impact négatif de l’inflammation sur la capacité régénérative des ISCs. L’analyse Seahorse XF a révélé une diminution du taux de consommation d’oxygène (OCR) dans les organoïdes ainsi qu’une réduction du rapport OCR/ECAR, renforçant l’hypothèse de métabolisme altéré. De plus, une analyse transcriptomique unicellulaire et de méthylation génomique (WGBS) a confirmé davantage ces altérations épigénétiques dans les ISCs, montrant que les ISCs dans le modèle GVHD présentaient des régions de méthylation différentielle (DMRs), en particulier dans les voies associées à la réponse immunitaire et à la croissance cellulaire.

Interprétation des résultats et découvertes

Impact de la GVHD sur la mémoire épigénétique des ISCs LGR5+

L’étude, par le biais d’une série d’expériences et d’analyses, a découvert que les changements métaboliques causés par la GVHD laissent une “cicatrice épigénétique” durable chez les ISCs. Cette cicatrice persiste non seulement dans la culture d’organoïdes in vitro, mais continue également d’affecter les capacités régénératives des ISCs même après transplantation dans un environnement dépourvu d’inflammation. Plus précisément, l’accumulation de succinate a entraîné une augmentation de la méthylation de l’ADN dans les ISCs, influant sur l’expression de nombreux gènes, notamment ceux liés à la prolifération cellulaire et à la réponse inflammatoire. Des expériences supplémentaires ont montré que ces changements épigénétiques ont un impact profond sur le cycle cellulaire et le comportement prolifératif des ISCs, et sont maintenus au cours de cultures de multiples générations d’organoïdes.

Caractéristiques métaboliques des ISCs et association avec la gravité de la GVHD

Pour explorer davantage le rôle des déficits de phosphorylation oxydative dans la GVHD, l’étude a également analysé la fonction de la voie de phosphorylation oxydative dépendante de la SDHA chez les ISCs. Par des techniques d’édition génétique, les chercheurs ont sélectivement éliminé le gène SDHA dans les ISCs LGR5+, découvrant que cette suppression aggravait la gravité de la GVHD, conduisant à une mortalité accrue. Ce résultat suggère que le métabolisme par phosphorylation oxydative est crucial pour la survie et la capacité régénérative des ISCs, et que son inhibition dans un contexte inflammatoire pourrait exacerber les dommages induits par l’inflammation.

Persistance de la mémoire inflammatoire et signification clinique

Il est important de noter que l’étude a démontré que, même lorsque la source d’inflammation est éliminée, les dommages à la capacité régénérative des ISCs LGR5+ persistent. Cette découverte revêt une importance clinique considérable : chez les patients ayant subi une GVHD, même après rétablissement, la capacité régénérative des cellules souches intestinales peut rester altérée, rendant ces cellules plus sensibles à de futures inflammations ou traumatismes. Cette conclusion souligne l’importance de considérer la santé à long terme des ISCs lors du traitement de la GVHD, offrant des bases pour de potentielles thérapies de réparation des cellules souches à l’avenir.

Faits saillants et innovations de l’étude

Nouveau mécanisme d’adaptation métabolique et de remodelage épigénétique

Cette étude révèle pour la première fois comment une inflammation médiée par les cellules T provoque une reprogrammation épigénétique des cellules souches intestinales via des altérations métaboliques (telles que l’accumulation de succinate), introduisant un mécanisme de “mémoire inflammatoire” dans les cellules non immunitaires. Ce mécanisme soutient également l’interaction entre la métabolomique et l’épigénétique, offrant une nouvelle approche pour comprendre la mémoire inflammatoire dans d’autres types de tissus.

Persistance de la mémoire épigénétique

De surcroît, l’étude innove en démontrant la persistance de la mémoire inflammatoire dans les cellules non immunitaires, montrant que le remodelage épigénétique après exposition à l’inflammation n’affecte pas seulement la fonction des ISCs à court terme, mais peut aussi influencer durablement leur capacité de réparation future. Cette découverte est riche en enseignements pour l’étude des inflammations chroniques et des maladies récurrentes, suggérant que dans ces processus, la fonction régénérative des cellules souches peut être limitée par l’exposition répétée à l’inflammation.

Valeur scientifique et appliquée de la recherche

Cette étude offre un nouveau cadre de compréhension des relations entre inflammation et fonction des cellules souches, révélant comment l’adaptation métabolique peut influencer durablement les cellules via des voies épigénétiques. Pour les patients atteints de GVHD, ce mécanisme fournit une explication potentielle, offrant une base scientifique pour améliorer les stratégies de protection des cellules souches contre les effets de la GVHD. Les recherches futures pourraient explorer la possibilité de restaurer les capacités régénératives des cellules souches par l’inversion ou l’inhibition de l’accumulation de certains métabolites spécifiques, comme le succinate. Par ailleurs, cette étude inspire le développement de méthodes thérapeutiques basées sur les cellules souches, en envisageant l’emploi de techniques de réparation épigénétique pour atténuer les dommages que subissent ces cellules dans des contextes inflammatoires, ce qui pourrait améliorer la régénération et la réparation de l’intestin chez les patients.

Limites de l’étude et perspectives futures

Bien que cette étude ait fourni une abondance de preuves expérimentales vérifiant l’effet de la mémoire inflammatoire de la GVHD sur les ISCs LGR5+, les objets de recherche étaient limités aux ISCs LGR5+ et ne couvraient pas les sous-groupes de cellules souches plus statiques. De plus, l’étude s’est concentrée essentiellement sur la méthylation de l’ADN, sans explorer l’impact potentiel d’autres marques épigénétiques comme les modifications d’histones sur les ISCs. Les futures recherches pourraient approfondir la manière dont le microbiome et d’autres métabolites influencent conjointement l’état épigénétique des cellules souches, fournissant davantage d’indices pour une compréhension complète des mécanismes par lesquels la mémoire inflammatoire agit sur les cellules souches.

L’étude menée par Zhao et ses collègues, qui explore les relations entre l’inflammation, le métabolisme, l’épigénétique et la fonction des cellules souches, fournit un soutien scientifique pour comprendre la manière dont la GVHD gastro-intestinale induit des dommages fonctionnels prolongés aux cellules souches. Cette recherche ne révèle pas seulement de nouveaux mécanismes de mémoire inflammatoire au niveau fondamental en biologie, mais elle offre également des perspectives importantes pour améliorer les stratégies de protection des cellules souches chez les patients atteints de GVHD dans un contexte clinique.