Profilage génomique de l'adénocarcinome de l'intestin grêle : Une analyse regroupée de 3 bases de données

Vue d’ensemble génomique de l’adénocarcinome de l’intestin grêle : analyse d’intégration des données de trois grandes bases de données

Contexte et importance de l’étude

L’adénocarcinome de l’intestin grêle (Small Bowel Adenocarcinoma, SBA) est une tumeur rare, mais son incidence a augmenté ces dernières années, en particulier l’adénocarcinome duodénal. Parmi les patients atteints de SBA, environ 20% souffrent de certaines maladies de susceptibilité telles que la maladie de Crohn et le syndrome de Lynch. Des études antérieures ont montré que, sur le plan génomique, l’adénocarcinome de l’intestin grêle est plus proche du cancer colorectal que de l’adénocarcinome gastrique. Cependant, les recherches systématiques sur le profil génomique du SBA à différents stades et sa valeur pronostique restent limitées.

Les auteurs de cet article ont réalisé une analyse génomique à grande échelle pour explorer la distribution des mutations géniques du SBA et leur relation avec le pronostic de la maladie. Cette recherche a une importance clinique significative et une valeur scientifique.

Origine et équipe de recherche

Cette étude a été réalisée en collaboration avec plusieurs institutions de recherche de premier plan en France et en Italie. Les principaux auteurs incluent des chercheurs des hôpitaux Saint Louis, Sorbonne Université, et Georges Pompidou Hospital. Les résultats de la recherche ont été publiés dans le “British Journal of Cancer” le 14 mai 2024.

Méthodes et processus de recherche

Sources de données et sujets d’étude

Cette étude a combiné les données de trois bases de données distinctes : étude AGEO, étude BIONADEGE et étude Casadei-Gardini. Les sujets de l’étude comprenaient 188 patients diagnostiqués avec un adénocarcinome de l’intestin grêle, et les échantillons tumoraux ont été analysés de manière détaillée sur le plan génomique. Voici les détails du processus de recherche:

  1. Données pathologiques et collecte d’échantillons : Les sujets de l’étude incluaient des patients SBA de stade I à IV, en excluant les carcinomes papillaires et les tumeurs non adénocarcinomateuses. Les données cliniques collectées comprenaient les caractéristiques démographiques, les antécédents de traitement, la stadification tumorale, l’invasion des ganglions lymphatiques et autres données pertinentes. Les échantillons tumoraux comprenaient des biopsies de tumeurs primaires ou métastatiques, ou des échantillons de résection chirurgicale.

  2. Analyse immunohistochimique : Pour les études AGEO et BIONADEGE, des microblocs tissulaires (TMA) de 0,6 mm de diamètre ont été construits à partir de tissus tumoraux inclus en paraffine. Les protéines de réparation des mésappariements de l’ADN (MMR) telles que MLH1, MSH2, MSH6 et PMS2 ont été colorées par immunohistochimie pour évaluer le statut MSI/dMMR des tumeurs.

  3. Séquençage des gènes et analyse des mutations : La technologie Ion Torrent et Foundation CDx a été utilisée pour le séquençage de nouvelle génération (NGS) afin d’analyser 739 mutations somatiques hotspots impliquant 35 gènes associés au cancer. Les mutations significatives sur le plan clinique ont été sélectionnées par alignement avec le génome de référence et en utilisant des logiciels biologiques pour analyser les données.

Méthodes d’analyse statistique

Les analyses de données ont été réalisées avec le logiciel SAS 9.3. La survie globale (OS) a été estimée par la méthode de Kaplan-Meier et les relations entre différents facteurs et l’OS ont été comparées par le test du log-rank. Le rapport de risque (HR) a été calculé en utilisant le modèle des risques proportionnels de Cox, y compris l’analyse multivariée.

Résultats de l’étude

Caractéristiques des patients et des tumeurs

Le phénotype MSI/dMMR a été détecté chez 71 patients (29,8 %) de l’ensemble de la cohorte. Le site principal du cancer était le duodénum (58,5 %), la plupart des tumeurs étant localisées (80,2 %).

Distribution des mutations géniques et stadification de la maladie

Les principales mutations géniques comprenaient : KRAS (42,0 %), TP53 (40,4 %), APC (19,1 %), PIK3CA (18,6 %), SMAD4 (12,8 %) et ERBB2 (9,6 %). Les détails de la distribution des mutations dans différents sous-groupes sont les suivants :

  1. Par stade tumoral : Les mutations KRAS et SMAD4 étaient plus fréquentes dans les tumeurs métastatiques, tandis que les mutations APC étaient associées à une survie globale plus faible dans les tumeurs localisées (P = 0,0254). De plus, la mutation ERBB2 n’a pas été trouvée dans les tumeurs localisées.

  2. Selon les maladies de susceptibilité et les mutations géniques : Les patients atteints de la maladie de Crohn présentaient des taux élevés de mutations TP53 et IDH1, tandis que chez les patients sans antécédents de maladie spécifique, la mutation APC était plus courante (P = 0,0088). Les patients atteints du syndrome de Lynch avaient des mutations KRAS et ERBB2 plus fréquentes.

  3. Génotype et pronostic : L’analyse de survie globale a montré que les patients porteurs du phénotype MSI/dMMR avaient un meilleur pronostic (HR = 0,61 [0,39 – 0,96], P = 0,0316). Dans les tumeurs localisées, la mutation APC était également associée à une amélioration de la survie, alors que cette mutation n’avait pas d’impact significatif sur le pronostic des tumeurs métastatiques.

Conclusions et importance de l’étude

Cette étude est la première à analyser systématiquement le profil des mutations géniques du SBA à différents stades et en relation avec différentes maladies de susceptibilité, révélant une corrélation entre le phénotype MSI/dMMR et un bon pronostic. Ces résultats fournissent non seulement de nouveaux biomarqueurs pour la prédiction clinique du pronostic du SBA, mais aussi des données pour le développement de traitements personnalisés et précis pour les patients atteints de SBA.

Notamment, la signification pronostique de la mutation APC dans les tumeurs localisées et le bon pronostic associé au phénotype MSI/dMMR suggèrent que la génomique doit être davantage prise en compte dans le traitement du SBA. De plus, la découverte de la mutation fréquente KRAS G12C offre une cible potentielle pour le développement et l’application de nouveaux inhibiteurs spécifiques.

Points forts de l’étude

  1. Analyse génomique à grande échelle : L’intégration des données de trois importantes bases de données a permis d’analyser le profil des mutations géniques chez 188 patients atteints de SBA, augmentant la signification statistique et la valeur scientifique des résultats.

  2. Corrélation entre MSI/dMMR et le pronostic : La clarification du statut MSI/dMMR comme biomarqueur de bon pronostic pour l’adénocarcinome de l’intestin grêle apporte une valeur clinique importante.

  3. Nouvelle découverte sur la mutation APC : L’étude a révélé pour la première fois que la mutation APC est associée à un meilleur pronostic dans l’adénocarcinome de l’intestin grêle localisé, offrant une nouvelle perspective pour les futurs traitements personnalisés du cancer.

  4. Étude des associations avec la maladie de Crohn et le syndrome de Lynch : Une évaluation systématique des profils de mutation génique chez les patients atteints de la maladie de Crohn et du syndrome de Lynch fournit des bases pour des stratégies thérapeutiques spécifiques à ces populations de patients à risque.